Rire des conneries des autres

Organisée mardi dernier dans le centre musical flambant neuf Barbara Fleury Goutte D’or, en bordure du boulevard de La Chapelle, la cérémonie parodique de remise des prix des « Y a Bon Awards » récompensait les auteurs des propos les plus racistes et xénophobes tenus dans la sphère publique. Cinq prix ont été décernés au cours d’une soirée désopilante qui a permis de se remémorer de grands moments de racisme décomplexé de la part de nos leaders d’opinion.

Tenue à bout de bras par l’association Les Indivisibles, « vigie anti-raciste » qui rassemble une centaine de militants et qui propose de déconstruire les préjugés ethno-raciaux par le rire, cette initiative, qui n’a reçue aucune aide publique, a pu se faire notamment grâce au soutien de l’ambassade des États-Unis et d’un jury composé de personnalités diverses (Lilian Thuram, Audrey Pulvar, Kery James, Pascal Blanchard).

C’est l’applaudimètre qui a automatiquement désigné les stars de la soirée : Pascal Sevran a décroché un Y’a Bon « A titre posthume » pour ses propos sur « la bite des noirs […] on enverra même de l’argent pour qu’ils puissent continuer à répandre, à semer la mort » d’où la nécessité de « stériliser la moitié de la planète » ;

Alain Finkielkraut et son équipe de France de football totalement « black black black, qui provoque des ricanements dans toute l’Europe » lui a permis de récolter un Y’a Bon dans la catégorie « Tu l’aimes ou tu la quittes ». Autre star de l’applaudimètre, Eric Zemmour, grand perdant de la soirée, pourtant nommé dans plusieurs catégories et annoncé comme grand gagnant, "repart" bredouille mais non sans avoir provoqué la jubilation du public.

« Nettoyez par ici, c’est sale ! »

Une kyrielle d’élus UMP était également attendue au tournant comme Sylvie Noachovitch, grande gagnante dans la catégorie « Les Envahisseurs ». En 2007, en campagne dans le Val d’Oise, elle tente de rassurer son mari sur la question de d’adultère et n’hésite pas à déclarer que « l’idée de coucher avec les noirs et les arabes de sa circonscription la répugne ».

Éric Raoult a été primé pour l’ensemble de son œuvre et notamment pour des propos tenus en 2007 au sujet de la visite de Rama Yade auprès de squatteurs d’origine africaine installés à Aubervilliers. Il s’était réjouit publiquement de cette initiative, la jugeant « logique et bienvenue » car expliquait-il, « que préfère-t-on : la matraque ou le dialogue ? En respectant la coutume des palabres, Rama Yade favorise « l’apaisement ».

Luc Ferry, également récompensé pour son rappel en 2006 du fameux proverbe arabe : « Bats ta femme tous les soirs, si tu ne sais pas pourquoi, elle le sait » comme pour mieux expliquer qu’en France, une femme meurt sous les coups de son mari tous les quatre jours. L’ancien ministre décroche le prix « Le Bruit et l’Odeur. »

Les Y’a Bon Awards ont aussi permis de se remémorer des perles un peu oubliées, comme cette belle explication de texte proposée par Jacques Chirac dans Le Monde en 2004, sur la légendaire nonchalance des africains qui sont « joyeux, parce que joyeux par nature. »

Enthousiastes, ils ont le sourire, ils applaudissent, ils sont contents. Ils voient qu’il y a un monsieur qui passe, cela leur permet d’être sur le bord de la route. Ils sont contents !. Philippe Candelero également qui, en février 2006, gratifiait une patineuse chinoise en direct à l’antenne d’un « Je pense qu’elle aura mérité un bon bol de riz ce soir ! »

Moins relayée dans la presse, cette scène inimaginable tenue en 2006 dans la cafétéria du Sénat, où deux attachées parlementaires de couleur sont apostrophées à leur entrée dans la salle par un sénateur UMP du Val d’Oise, Hugues Portelli : « Vous pouvez nettoyer parce que c’est sale ! On ne peut pas se servir ici, c’est vraiment dégoûtant. Vous comprenez ce que je veux dire, ou pas ? (…) Nettoyer, vous comprenez, ou pas ? »

Ont aussi été nommés la skieuse Marielle Goitschel, Thierry Ardisson, l’écrivain Gaston Kelman, la journaliste Françoise Laborde et l’écrivain Ivan Rioufol, grand gagnant du Y’a Bon de l’Académie bien française.

Rire comme des Belges

Seule entorse au règlement, la nomination de Raymond Barre pour ses propos sur l’attentat de la rue Copernic en 1980 car les propos sélectionnés devaient avoir été tenus au cours des trois dernières années seulement. Les indivisibles se sont également fixés comme règle de ne pas nommer d’humoristes car « ceux-ci jouent avec différents degrés d’interprétation », ce qui explique l’absence de Dieudonné dans le palmarès.

Bien évidemment, aucun des nommés n’est venu chercher son prix (une peau de banane en or), ce qui n’a pas empêché les Y’a Bon Awards de se dérouler dans une salle comble et conquise, morte de rire du début à la fin car c’est justement là que réside la force de cette initiative : dans le rire.

Si ces propos - tous aussi racistes les uns que les autres - n’ont rien déclenché d’autre que des éclats de rire à répétition, c’est car ils ont bénéficié d’une lecture pleine d’humour de l’actrice Aïssa Maïga et de l’humoriste Blanche («  peut-être que la solution c’est d’avoir honte de nos différences tous ensemble ?") et qu’une fois sortis de leur contexte, ils ne génèrent plus ni polémiques, ni colère mais s’apparentent plus à de grosses blagues belges tant leur contenu parait surréaliste.