Exaltant de lucidité, Serge dénonçait, comme George Orwell à la même époque, et le fascisme, et le stalinisme.
Rien à voir avec l’écologie ? Eh non. Mais si. Je vais tâcher d’expliquer. Les éditions Agone publient un livre merveilleux fait de chroniques écrites par Victor Serge entre juin 1936 et mai 1940 (Retour à l’Ouest, éd. Agone, 372 pages, 23 euros).
Serge a eu la vie d’un révolutionnaire professionnel. Anarchiste au début du siècle passé, à Paris, il fréquente les membres de la bande à Bonnot, ce qui lui vaut cinq ans de prison, alors qu’il réprouve leur action. Devenu bolchevique après la révolution d’Octobre, il gagne la Russie et devient l’un des cadres supérieurs de l’Internationale communiste. Oui, mais Serge est un honnête homme. Dès 1926, il est dans l’opposition à Staline. Et en prison en 1933. Une campagne d’intellectuels français le sauve in extremis et, en 1936, Serge débarque à Bruxelles.
Alors, pendant quatre années, il écrit des chroniques pour un journal de Liège, la Wallonie. Il faut aimer la période, et la connaître un peu. Mais à cette condition, on peut parler d’un chef-d’œuvre de la liberté. Il n’est pas vrai que l’on ne savait pas. Il n’est pas vrai qu’il fallut attendre Soljenitsyne pour découvrir la barbarie régnant en Union soviétique. Exaltant de lucidité, Serge dénonce, comme George Orwell à la même époque, et le fascisme, et le stalinisme. Il est aux côtés de l’Espagne en guerre contre cette affreuse baderne de Franco. Mais attaque aussi l’effroyable politique des communistes, de Valence à Barcelone en passant par Madrid. Il voit clair. Il dit juste. Et il écrit fort bien.
Bien entendu, il écrit également son lot de sottises. Mais au regard des faits massifs de son temps, on peut le tenir pour un magnifique visionnaire. Nul ne peut prétendre savoir ce que penserait aujourd’hui Victor Serge. Évidemment. Mais la situation, mutatis mutandis, ne commande-t-elle pas les plus grandes audaces intellectuelles ? Que reste-t-il des imbéciles qui fêtaient la « paix » munichoise de la Toussaint 1938 ? Que reste-t-il des idiots qui croyaient la ligne Maginot imprenable ? Serge est là, intact, quand tous les autres ne sont plus que poussière. La crise écologique en cours, si lourde de menaces sans précédent dans l’histoire humaine, réclame, exige, commande l’apparition de nouveaux Victor Serge. Mais où sont-ils ?