Annie Lacroix-Riz, professeure d’histoire contemporaine à l’Université Paris VII est tombée du placard en regardant sur Arte "Le vrai pouvoir du Vatican".
Le 3 novembre Arte, en soirée, a proposé à ses téléspectateurs un surprenant documentaire intitulé « Le vrai pouvoir du Vatican », avec en récidive une rediffusion programmée le 19 novembre à 3 heures du matin. On aurait pu supposer que le réalisateur allait, pour le moins, évoquer la ligne politique de ce pouvoir religieux au cours du XXe siècle… Rien de tout cela et je suis sidérée que le service public puisse diffuser un tel document, unilatéral et falsifié, dans un pays où l’Église et l’État sont théoriquement séparés.
Ce documentaire, historique présumé, n’a fait appel qu’à des cléricaux labellisés, membres du clergé, le plus souvent du haut clergé, ou à des enseignant des institutions catholiques ou vaticanes. C’est stupéfiant : même en Belgique, pays à forte prépondérance catholique, une telle énormité paraît impossible. Dans un tel cas la simple pratique professionnelle est de donner la parole, au moins pour une partie, aux historiens laïques et indépendants de l’Église romaine !
Ce documentaire se déroule dans l’obsession « anti-rouge », maladive, avec un tissage de contrevérités, l’addition de « péchés » par omission ; où le concept même d’une ligne politique vaticane, concept banal pour un spécialiste d’histoire moderne mais il est vrai absent du champ de l’historiographie cléricale en histoire contemporaine, disparaît pour être remplacé par des observations psychologisantes et moralisantes.
Le spectateur, entre toutes les autres, doit retenir une falsification particulièrement grave : la présentation de la guerre d’Espagne comme une croisade commencée "fin juillet" 1936 par un Franco courant au secours des clercs assassinés ? Assassinés par les subversifs, cela depuis l’avènement de la république en 1931, barbares abrités au sein d’une république incapable de les contrôler (on ne comprend pas très bien dans ces conditions à quoi fait référence l’explosion de la « violence » les 17 et 18 juillet 1936, dates également citées)…
Je n’imaginais pas qu’il fût possible de présenter aujourd’hui en ces termes le putsch de Franco. Un coup préparé de longue date par un parti catholique regroupant tous les privilégiés espagnols. Un coup bâti avec le nonce Federico Tedeschini, le jésuite Angel Herrera, son compagnon d’ « Action catholique », et la Curie, le tout en compagnie de l’Allemagne hitlérienne et de l’Italie fasciste. Un putsch soutenu d’emblée par les forces et moyens militaires de ces deux États, et perpétré notamment, sur le plan intérieur, par des clercs, réguliers en tête, mitraillant la foule depuis les couvents le jour de l’explosion du « golpe ». Les archives militaires et diplomatiques sont à cet égard formelles.
Je ne tiens pas à me transformer en libraire, vantant ses propres livres, mais quand même, il se trouve que j’ai consacré une partie de ma vie de chercheuse à travailler sur ce domaine. Je renvoie donc les curieux, et les téléspectateurs frustrés à mes bouquins : Le Vatican, l’Europe et le Reich de la Première Guerre mondiale à la Guerre froide (1914-1955), Paris, Armand Colin, édition complétée et révisée, octobre 2010, p. 451-463 (et passim sur tout le reste de ce qui a été entendu ce soir, au moins jusqu’à la fin du règne de Pie XII) ; et Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, Paris, Armand Colin, nouvelle édition complétée et révisée, janvier 2010, chapitre 7, « Le test de la guerre d’Espagne, été 1936-mars 1939 ».
Pastichant Clémenceau je dirai que l’histoire est une chose trop sérieuse pour être confiée à des cléricaux.
Annie Lacroix-Riz
A lire sur Bakchich.info :
Le Vatican a toujours entretenu des relations très amicales avec tous les pouvoirs fascistes,tels que ceux de Salazar, Mussolini, Pinochet, Franco (entre autes). Les liens étroits avec le nazisme ne sont un secret que pour personne. Mais prenons l’exemple des rapports entre le catholicisme et Franco :
"Le catholicisme dans l’Espagne franquiste
En 1936 la jeune république espagnole est agressée par l’armée avec le général Franco à sa tête. Très vite la hiérarchie catholique espagnole reconnaît là son "Sauveur", chef de file d’une nouvelle croisade. Cette rébellion militaire est une aubaine pour les milieux catholiques conservateurs qui voient dans Franco un rempart contre les républicains. Après des siècles de domination chrétienne, le matérialisme athée, les destructions d’églises et arrestations de prêtres par diverses milices républicaines rappelaient aux catholiques l’existence d’une opposition à tout despotisme mystique. Le soutien officiel de l’appareil catholique espagnol à la barbarie fasciste est apporté par « la lettre collective des évêques espagnols » du 1er juillet 1937 qui ainsi conférait une légitimité religieuse au mouvement militaire mais la sensibilité catholique était déjà présente dans des organisations franquistes comme la Phalange. Désespérée par six ans d’une démocratie néophyte, l’Eglise pouvait enfin libérer ses pulsions autoritaires (voir photo 1 montrant la hiérarchie catholique quand elle donne le salut fasciste à Saint Jacques de Compostelle en 1937, et photo 2 sur la participation du clergé à l’action militaire des franquistes). On aurait tort de laisser le clergé espagnol seul responsable de cette prise de position, le Vatican, d’abord prudent, ne cachera pas son appui à Franco. Le pape Pie XII déclare en effet le 16 avril 1939, une fois la victoire de la bête immonde acquise, que l’Espagne franquiste est « la patrie élue de Dieu ». Une célébration religieuse à Rome saluera d’ailleurs cette victoire. Le combat franquiste fut entièrement identifié par les catholiques à une croisade des temps modernes où le républicain avait remplacé le « sauvage » et l’épée s’était effacée devant le char d’assaut. Les références nostalgiques à cette époque ne manquaient pas et Franco apparaissait comme le véritable sauveur. La fin du conflit donna lieu à une cérémonie religieuse solennelle avec le caudillo pour héros, valeur hautement symbolique pour une religion de la guerre et de la conquête.
La guerre terminée, la rechristianisation de l’Espagne se réalisait sans obstacle : l’enseignement est confié quasi exclusivement aux religieux avec catéchisme obligatoire accompagné d’une réintroduction de signes ostentatoires chrétiens dans les salles de classe (crucifix, images pieuses …). Une police de la pensée se substituait au système éducatif. Deux décennies après la fin de la guerre civile, le confort de l’Eglise restait intact, des membres de l’Opus Dei entraient au gouvernement en 1957 et le 25ème anniversaire de la prise du pouvoir confirmait le dictateur dans son rôle de « défenseur de l’Eglise et chevalier du Christ »."