Les fêtes sont propices aux engueulades…
La folie commence plusieurs kilomètres avant l’hypermarché, ce rejeton diabolique du capitalisme, qui clame qu’il nous offre des prix « bas », « écrasés » ou « plus bas que bas » alors qu’il est à l’origine de tant de dérives, à commencer par une agriculture obligée de brader ses produits de saison ou des petits commerces qui ne comptent plus que sur la période des soldes pour survivre sans oublier ces cohortes de poids-lourds qui polluent l’Europe entière dans une débauche d’énergie et selon un mode d’organisation déjanté. C’est ainsi qu’un jour, sous le tunnel de la Fourvière à Lyon, un camion, venant d’Espagne et transportant des tomates à destination du sud de la France, en a percuté un autre qui, lui, venait des Pays-Bas pour livrer des tomates en Espagne…
Poursuivons. A quelques kilomètres de « l’hyper », ça dépasse en prenant des risques, ça tourne sans prévenir, ça freine. On se dit qu’il y a une course clandestine, que les Schumacher du week-end qui font habituellement la java sur le périphérique parisien le samedi, tard dans la nuit, sont sortis de leur garage plus tôt que prévu. Mais non, c’est normal. Ce sont les radiations émises par le centre commercial qui créent cette agitation.
A proximité du parking – souterrain et payant – il y a un parterre où le gazon n’est plus qu’un souvenir puisque des pneus l’ont fait entrer dans le sol. Ça se gare n’importe comment, ça accélère pour ne pas se faire griller la place et parfois même, parce qu’il a plu la veille, ça s’embourbe. Alors, d’autres conducteurs, faussement indignés, s’éloignent et rangent leur voiture contre les murets de proches pavillons qui ont certainement connu de meilleurs temps.
C’est ce que fait la Ford K bleue qui en termine avec sa manœuvre. Le chauffeur, jeune, lunettes rondes, en descend content de lui et se prépare à piquer un sprint vers le centre commercial. Pas si vite ! Une femme, trente ans maximum, survêtement à capuche, vient de sortir du pavillon, une longue clé à molette à la main. Elle crie. Il n’entend pas. Elle crie encore plus fort. Il se retourne.
« - Enlève ta bagnole d’ici, ordonne-t-elle. C’est un stationnement interdit. Y’en a assez ! »
L’autre ne comprend pas. Il écarquille les yeux.
« Affole-toi, j’te dis. Vire ta caisse ou j’te la recycle. Allez !
Je ne vois pas de panneau, proteste le jeune qui se dirige tout de même vers sa petite punaise bleue.
Le panneau, c’est moi. C’est interdit, parce que c’est privé. Chaque année, c’est la même histoire. Tu vas acheter du saumon et t’as pas de quoi t’payer le parking ? »
La Ford K est partie. La dame a sorti une grosse poubelle en métal, qu’elle a placé contre son muret. On se dit qu’on ferait mieux de traîner dans le coin parce qu’un gros quatre-quatre va bien finir par essayer de se garer ici en poussant le bidon avec son pare-buffle qui, comme chacun le sait, est très utile sur les routes de France. Mais on renonce. Il y a d’autres scènes à filmer et elles valent tout autant le détour.
On y est. Le temple de la consommation : un immense hangar : chauffage étouffant et éclairage agressif. Des rayons et des panneaux de prix à perte de vue. Des annonces sur des promotions dont on veut nous faire croire qu’on les a attendues toute notre vie et que ce moment est enfin arrivé. Ça court, ça déverse dans les chariots qui grincent, dérapent et, pour notre grand plaisir, se percutent. Est-ce que la mémoire collective compte à ce moment-là ? Une zone spéciale du cerveau émet-elle des pulsions qui rappellent les temps anciens des famines, ou plus récents, des bons d’alimentation et du marché noir ? Ce n’est pas encore l’Amérique et ses machins-Mart qui vendent le soda dans des bonbonnes de dix litres, mais on y vient, tranquillement.
C’est samedi et c’est bientôt « les fêtes » autrement dit la période « cadeaux et miam-miam ». Achetez des huîtres et des escargots, dit la dame au micro. N’oubliez pas nos offres sur le boudin blanc, le vrai saumon d’Ecosse, la coquille Saint-jacques qui n’a jamais été congelée, le pain tranché pour tartiner le tarama, le chocolat blanc fourré à l’ananas et le thé chinois pour maigrir et bien digérer !
Dans l’une des allées principales, un homme, costaud, jean noir, gros ceinturon, chemise à carreaux et bolo argenté autour du cou, pousse son chariot qui déborde en dissuadant de ses yeux furieux tous ceux à qui il viendrait l’idée idiote de freiner son allure. Il vogue vers les caisses et une femme, sûrement la sienne, lui court après.
« - Biquet ! Attends ! Mais Biquet, il reste le foie gras à prendre ! J’vais pas le choisir seule ! »
Biquet ne répond pas. Il fonce. Il sait qu’une queue de vingt mètres l’attend à chaque caisse. Il connaît la belle gymnastique qu’il va devoir accomplir dans l’urgence : décharger le chariot sur le tapis roulant, s’impatienter parce que celui qui est devant n’a pas débarrassé tous ses paquets, commencer à recharger son chariot, attendre que la caissière compte tous les coupons de réduction, s’interrompre pour payer, reprendre son chargement pendant que le chariot qui suit vous déchire les chevilles, re-décharger le chariot dans le coffre de sa voiture, décharger le coffre à la maison,…
- Mais Bique-eeet !
Cette fois, ce n’est pas la femme qui a crié mais un plaisantin. Le cow-boy stoppe et se retourne. Sa femme reste interdite. Une, deux secondes, viennent les insultes. Les « tu me fais… », les « j’en ai marre », les « rien à f… de ton foie gras… ». Que fait la dame ? Elle se met à pleurer. Les mauvaises manières de Biquet font tout sortir. Le stress des cadeaux (quoi offrir à qui ?), le stress des repas (comment préparer la dinde ?), le stress de la famille (qui inviter – et quoi lui offrir ?) et la peur de l’échec. Oui, oui, vous avez bien lu : la peur de l’échec, celle de « rater ses fêtes » : les cadeaux qui ne plaisent pas, le repas mal digéré ou, pire encore mais si fréquent, la dispute familiale, les agapes qui dégénèrent, les paroles blessantes que, l’alcool aidant, on finit par se dire après le énième trou normand.
Noël, c’est aussi cela. Un « challenge », diraient les anglo-saxons. Une course d’obstacles qu’il faut absolument réussir parce que cela comble le vide et que cela permet de répondre fièrement « oui » à ceux qui demandent, début janvier, si l’on a « passé de bonnes fêtes de fin d’année ? ». Une étrange question qui en dit long, n’est-ce pas ?
"C’est ainsi qu’un jour, sous le tunnel de la Fourvière à Lyon, un camion, venant d’Espagne et transportant des tomates à destination du sud de la France, en a percuté un autre qui, lui, venait des Pays-Bas pour livrer des tomates en Espagne…"
étonnant ? non, c’est ça le libéralisme à la sauce UE, c’est à dire, grâce aux subventions, càd, avec l’argent des contribuables, notre argent.