Samedi dernier, je me suis rendu coupable d’une mise en cause qui n’était en réalité qu’un délit de faciès ou plutôt un “délit d’allure vestimentaire”. C’était lors d’une fête d’école primaire et, dans le couloir d’entrée, j’ai repéré deux adolescents qui déambulaient d’un pas nonchalant en donnant l’air de ne pas savoir où aller. Ils avaient le look « bandes de cités » : jean, baskets et blouson à large capuche. Je leur ai demandé la raison de leur présence, m’apprêtant à passer quelques moments désagréables et musclés dans le cas où il me faudrait les contraindre à quitter l’établissement où, cela ne pouvait qu’être certain, ils n’avaient rien à faire ni à défaire.
Renseignements pris, il s’agissait d’anciens élèves venus à la fois pour assister au spectacle de fin d’année où jouaient leurs petits frères et pour saluer leurs anciens instituteurs. Ni embrouille ni volonté de baston ou de saccage, mais un simple pèlerinage dans un lieu ô combien éloigné — je l’ai compris en discutant avec eux, histoire de me racheter un peu — de leur collège et de ses désordres quotidiens. Je me suis excusé. Platement, le ventre déchiré par un mélange confus de mauvaise conscience, de peine et de honte. Ils n’ont pas semblé m’en vouloir contrairement à la mère de l’un d’eux qui, venue aux nouvelles, a très mal pris ma suspicion.
En m’éloignant, je me suis souvenu d’une scène à laquelle j’avais assisté l’avant-veille dans le métro. Dans la rame pratiquement déserte, il y avait un jeune noir chétif, quinze ans au maximum, habillé d’un large survêtement à capuche qui accentuait sa maigreur. Du haut-parleur de son téléphone portable s’échappait le flot belliqueux d’un rap guerrier et misogyne. Une femme, la trentaine et la chevelure brune graisseuse, lui a alors demandé de baisser le volume, n’obtenant pour toute réponse qu’un haussement d’épaule. Juste cela, un mouvement presque imperceptible, peut-être prudent car la dame était en compagnie d’un rougeaud corpulent aux lèvres lippues et au regard de chien fou.
A peine le jeune avait-il détourné son regard pour se remettre à battre la mesure de ses deux paumes, que le gaillard s’est mis debout en hurlant et en exhibant une plaque dont je ne saurais vous dire à quel type de force de l’ordre elle faisait référence. « Eteins cette m… ! Tout de suite ! T’es dans le métro ici, tu respectes les passagers, t’as compris ? » Le jeune a obtempéré mais il a tout de même tenté une réplique, histoire de ne pas perdre totalement la face.
« Hé, c’pas comme ça qu’la police elle doit dire aux gens ! », a-t-il lancé, ce qui a mis le rougeaud dans tous ses états d’autant que la brune s’est mise elle aussi à crier en exigeant du jeune « d’arrêter de la ramener ». Et plus elle criait et plus le rougeaud s’excitait : « Comment tu veux que j’te parle, hein ? T’as envie que j’appelle les collègues ? T’éteins ta m… et tu la fermes, point barre ! » L’ado a encaissé et il est descendu à la station suivante. Il a attendu que les portes se ferment pour agonir le couple d’insultes très imagées, qualifiant l’un de porc démuni et l’autre de guenon de petite vertu pour dire les choses de façon halal.
L’incident m’a fait sourire. Non pas parce que je prenais le parti du jeune ou que je ressentais un grand plaisir à voir les condés se faire « traiter » mais tout simplement parce que cela m’a rappelé ces épisodes si fréquents vécus à Koléa, Ténès ou à la cité de la DNC à Alger lorsqu’un grand ou un adulte corrigeait l’un de ces insupportables gamins que nous étions. Morve, larmes et sanglots mêlés, le puni s’éloignait en geignant de douleur puis, jugeant le handicap raisonnable, abreuvait le correcteur d’injures où il était le plus souvent question de matrice maternelle et de damnation. Parfois même, des cailloux volaient - on disait des blocs - ce qui obligeait l’insulté à se mettre à couvert ou, rires des spectateurs aidant, à piquer un sprint pour infliger une correction plus lourde à l’insolent.
Pardon pour cette parenthèse mais voilà l’explication de mon sourire lequel n’a guère plu au pandore. Il a bien essayé de me fusiller de ses petits yeux mais cela n’a pas duré. J’avais l’avantage du témoin, de celui qui peut afficher une mine ironique voire méprisante sans grand risque. Il est vrai que mon jugement était sévère à l’égard de ce que je ressentais comme une bien minable démonstration de force. En un mot, une hogra.
Que s’est-il passé entre l’épisode du métro et celui de la fête de l’école ? Rien. Aucune circonstance atténuante me permettant de justifier ou d’expliquer comment celui qui n’a guère apprécié l’intervention intempestive d’un policier en mal d’adrénaline s’est transformé le surlendemain en vigile occasionnel et stigmatisant. Si, peut-être une chose, pas vraiment dérisoire si l’on y réfléchit bien. Il y a eu le matin de la fête, ce réveil où les premières phrases entendues à la radio ont déclenché une mauvaise humeur habituellement réservée aux lundis. Ce n’était pas l’insupportable Jean-Marc Sylvestre et ses délires ultra-libéraux de commande. Non, il était question de jeunes encagoulés qui, dans la nuit de vendredi à samedi, avaient attaqué des lycéens qui s’étaient réunis au Champ-de-Mars au pied de la tour Eiffel pour fêter la fin des épreuves du baccalauréat.
Coups, vols d’ipod ou de portables, vandalisme, magasins de la rue du Commerce saccagés, charges de la police, gaz lacrymogènes, voici une partie des mots entendus et qui par la suite ne cessèrent de tournoyer au gré des flashs. Les coupables ? Trois cents voyous, venus essentiellement des Hauts-de-Seine et des Yvelines. Encore un exploit des lascars qu’il n’y a pas si longtemps - c’était lors de manifestations de lycéens elles aussi perturbées par des casseurs - je qualifiais de véritables boulets. Cagoules, capuches, bandes violentes, insécurité… Les mots tournent, tournent, et s’incrustent sans crier gare.
Tout cela pour vous dire que nous vivons dans un monde de conditionnement où les faits rapportés, amplifiés, théâtralisés, ont leur effet. A chaque fois que j’aborde ce type de sujet, je me remémore les propos d’un confrère qui m’a dit un jour de bien veiller à ne pas donner l’impression que la France est au bord de la guerre civile. C’est une sage recommandation mais ces deux épisodes - sans parler de l’agression de Belleville - me donnent à penser qu’il se passe quelque chose, que des mécaniques incertaines se mettent en branle et que tout cela risque de mal se terminer.
Je comprends que certains lecteurs n’aiment pas la musique forte, mais j’aimerais savoir si ces personnes qui auraient voulu réagir auraient fait de même face à un homme d’affaire en costume qui répond au téléphone à haute voix dans le train.
Pour moi, le délit est le même, mais personne ne va réagir face à l’homme d’affaires. Par contre, le jeune à capuche, oui…
Evidemment que tous les jeunes a capuche ou avec un style "lascar" ne sont pas tous des délinquents… moi même je m’habille souvent comme ça et je suis loin d’être quelqu’un de violent.
Seulement la majoritée des personnes agressées le sont par des jeunes habillés comme ça, du coup la confusion règne… Quand je suis habillé "lascar" je peux voir les dames serrer fort leur sac à main quand je passe à coté d’elles, alors qu’en chemise et pantalon à pince ca serai plutôt un sourir…
Si tous les hommes étaient batis comme schwarzeneger, evidemment que beaucoup plus iraient calmer nos petits sauvageons des cités qui foutent la merde… En attendant personne n’a envie de se faire suriner pour une musique de téléphone trop forte…
Quand on lis cet article, on se rend compte à quel point les choses se sont dégradés. J’ai honte pour mon pays quand je lis votre article. Que du haut de sa morale, un homme qui devrait représenter normalement l’ordre, l’éthique, (Notre auteur bien sur - Akram Belkaïd) puisse à tel point confondre le bien du mal !!!
Que du haut de sa lâcheté, qui consiste à ne rien faire et à se plier à la loi du plus fort, il se se permette de juger la seule personne qui se permette d’intervenir …
Alors, Monsieur Akram, permettez moi de vous dire ceci. La seule raison pour laquelle des personnes se permettent d’écouter leur musique ou d’avoir un comportement inconvenant en public, c’est que les gens, parisiens pour la plupart, ont PEUR. Ils ont peur de se faire frapper, blesser, par des personnes qui ne respectent ni la vie, ni l’humanité, ni même eux-même. Et ceux qui inspirent cette peur utilisent grandement ce phénomène pour se tout se permettre. Les habits rasta ? Les jeans sans ceintures qui tombent au genoux ? Renseignez-vous, c’est une mauvaise imitation des prisonniers californiens… =Je suis un méchant, donc, j’inspire la peur, donc j’ai du pouvoir…
Et d’ailleurs, puisque vous vous dites intellectuel, réfléchissez un peu à ceci. Pour la plupart des terriens , TOUT est quête de pouvoir … Du vêtement rasta au costume 3 pièces…
Oui, Je suis d’accord. çà ne sert évidemment à rien de s’énerver ou crier sur quelqu’un.
Mais quand "un con" fait la sourde oreille, ou essaye d’intimider son entourage, çà ne me choque pas qu’une personne excédée "pète les plombs". En tout cas, je comprends cette dernière.