Jean-Luc Tournaire ne voulait pas que ses vaches soient vaccinées contre la maladie de la langue bleue, ni contagieuse ni transmissible à l’homme.
Il n’y a pas que les salariés de France Télécom. Non. Même si l’acte ultime qu’est le suicide emporte avec lui une part irréductible de mystère, la mort de Jean-Luc Tournaire me hante. Je ne le connaissais pas, mais je sais quelques lueurs sur ses derniers mois. Il ne voulait tout simplement pas que ses animaux – des vaches – soient vaccinés contre la fièvre catarrhale ovine (FCO ), cette fameuse « maladie de la langue bleue ». Transmise par un moustique, elle n’est pas contagieuse et n’est nullement transmissible à l’homme, au point que le ministère de l’Agriculture lui-même, sur son site Internet, écrit : « Cette maladie n’affecte pas l’homme et n’inspire donc aucune inquiétude, ni pour la population ni pour le consommateur. »
Comble de tout, la vaccination ne garantit pas réellement contre la propagation du virus. Disons qu’il y a doute, doute sérieux. En revanche, l’immunité naturelle des animaux, qu’on peut au reste stimuler, semble souvent plus prometteuse. L’Organisation mondiale de la santé animale (OIE ), qui fait autorité, note ainsi dans l’un de ses textes que les bêtes « se trouvant dans les zones où la maladie est endémique sont naturellement résistantes ». Ce qui n’a pas empêché le gouvernement d’imposer, en 2009, la vaccination à tous les éleveurs. Avec menaces de poursuites contre les récalcitrants.
Jean-Luc Tournaire allait prendre sa retraite, après trente ans passés dans un minuscule village des Pyrénées. Venu de Paris avec sa compagne, il y avait élevé sa famille, des vaches, des chevaux, tout en défendant cette agriculture biologique désormais plébiscitée dans les villes. Ses proches le décrivent comme accablé, dans ses derniers jours, par l’obligation de vacciner des bêtes qu’il savait pouvoir soigner autrement. Il s’est tiré une balle dans la tête.
Quelques jours plus tard, Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture, imposait à nouveau la vaccination générale en 2010, pour un coût global de 98 millions d’euros. On peut espérer qu’au moins les laboratoires pharmaceutiques seront contents. Sûrement : en décembre 2008, Michel Barnier, alors ministre de l’Agriculture, visite à Lyon les installations du groupe Mérial, spécialiste de la vaccination contre la FCO . Il déclare, notamment : « Je vous aiderai à mettre en place un pôle national pour la santé animale. » Ajoutons ce détail : Michel Barnier a été vice-président de Mérieux Alliance, un groupe privé dont dépend Mérial, de février 2006 à juin 2007, date à laquelle il entre au gouvernement. Je préfère penser à Jean-Luc.