Sixième volet de notre saga « géopolitique iranienne pour les nuls ». 2006, Les Américains perdent la confiance des chiites et se tournent vers les sunnites, sans succès. Alors que le chaos s’installe durablement, tout le monde prépare la prochaine guerre.
Les Chiites, au cours de ces deux premières années, ont gardé leur sang froid, évitant le piège d’une guerre confessionnelle. Ils ont ainsi adopté les instructions de leurs dirigeants politiques et leurs chefs religieux en particulier l’Ayatollah Sistani. Mais, le 14 février 2006 à Samereh, les tombeaux de deux imams (le dixième et le onzième imam chiite, connus sous le nom des Asgaries), ont été très sérieusement endommagés et suite à l’explosion de bombes dans ces lieux saints des chiites, un nombre considérable de pèlerins ont été tués. Après cet événement, les Chiites ont perdu leur espoir en une paix proche. Ils se sont psychologiquement sentis très fragiles et désarmés face à ces actions terroristes des Sunnites.
Cet événement les a rendus aussi très méfiants à l’égard des Américains et de leur capacité à pouvoir rétablir l’ordre et à empêcher les sunnites à commettre des actions terroristes contre la population chiite. Avant cet événement, ils comptaient beaucoup, pour leur sécurité, sur les forces armées de coalition. C’est ainsi qu’ils sont entrés dans une logique de violence comme leur meilleur moyen de défense contre les sunnites. À partir de cet événement, une sorte d’autodéfense s’est organisée dans des quartiers chiites de Bagdad. Les organisations extrémistes chiites comme celle de Moqtada Sadr se sont vu favorisées par rapport aux personnalités modérées qui défendaient une ligne de non représailles et de collaboration avec l’armée de coalition (l’une des raisons d’accalmie relative au sud de l’Irak, à Bassora, est l’application de cette consigne avec l’armée anglaise).
Suite à l’événement de Samereh, les Chiites ont décidé de riposter par tous leurs moyens contre la population sunnite de Bagdad et ont choisi comme cible les quartiers sunnites très peuplés, les mosquées, et tous les lieux publics fréquentés par les sunnites. Les Chiites sont soupçonnés, depuis cet événement, d’être à l’origine des groupes d’escadrons de la mort pour éliminer les Sunnites et les obliger à quitter Bagdad en masse. Cette atmosphère de terreur est tellement imposante que les blessés de chaque communauté sont transportés dans des hôpitaux où ils sont traités par les mêmes équipes médicales qui ont la même conviction religieuse que les blessés.
Ce changement de stratégie coïncide aussi avec le retournement de la politique américaine dans l’écartement progressif des chiites du pouvoir. Les États-Unis espéraient un changement radical et une stabilisation significative de la situation après l’élection de 2005 en encourageant la participation des sunnites à cette élection. Ce ne fut pas le cas. Les Américains ont alors essayé de se rapprocher des personnalités sunnites et de s’éloigner ainsi des chiites, en partie aussi par peur de l’influence évidente du régime iranien au sein même des services des renseignements irakiens. Les Chiites ont accueillis froidement l’envoi de 20.000 soldats américains supplémentaire en Irak. Ils ont refusé la proposition des Américains d’amnistier les anciens membres du parti Baas et les anciens officiers sunnites de l’armée irakienne.
Nous pouvons constater, depuis le début de l’année 2006, un tournant très significatif dans la politique américaine de rapprochement avec les Chiites. Ils ont commencé à arrêter massivement les milices chiites à Bagdad et dans des villes saintes de Nadjaf, Karbala, et Samereh. Cette nouvelle politique a été considérée par les Chiites comme un rapprochement des Américains avec les Sunnites.
Mais il faut rappeler que cette politique n’a pas donné le résultat espéré par les Américains, au contraire les actions terroristes des organisations sunnites contre l’armée américaine se sont accrues à un rythme sans précédent (80% d’augmentation des attaques contre l’armée américaine depuis le début de l’année 2006) et le nombre de soldats américains tués a considérablement augmenté. Ce changement politique vis-à-vis des chiites coïncide avec la tension de plus en plus vive entre les américains et le pouvoir politique iranien. Les iraniens ont lié la question nucléaire à celles de la situation en Irak, au Liban et en Palestine. Cela a mis les États-Unis dans une situation très difficile. Il faut comprendre les mouvements et les déclarations des États sunnites de la région du Golfe contre l’Iran dans ce sens. Les Américains courrent un danger réel au cas où des conflits confessionnels se déclencheraient dans cette région.
Dans cette situation, l’Iran jouerait aussi, avec le feu, d’autant plus que cette guerre confessionnelle pourrait contaminer sa population sunnite vivant dans leur majorité aux frontières et dans des zones sensibles. Cela pourrait créer ainsi des situations incontrôlables pour les Iraniens eux-mêmes. Les sunnites iraniens, minoritaires (25%), ont toutes les raisons de se révolter contre un pouvoir chiite qui les prive de leurs droits socio-politiques élémentaires. Ils ne sont même pas libres de faire leur prière dans leur propre mosquée. Sans parler de leur condition économique : ils sont très défavorisés par rapport au reste du pays (les Baloutches dans les régions de Sistan et Baloutchistan au Sud-est, et les Kurdes à l’Ouest de l’Iran), il n’existe pratiquement pas d’infrastructure indispensable au développement économique. Les usines, les services, les grands barrages, les raffineries du pétrole, les grands axes routiers sont tous implantés dans des régions où les Chiites sont majoritaires.
Ainsi, c’est un paradoxe, l’Iran et les États-Unis se trouvent sur la même longueur d’onde en ce qui concerne l’unité de l’Irak. L’Iran n’a aucun intérêt à voir un Irak désintégré avec un nouvel État kurde à sa frontière Ouest où les kurdes iraniens vivent dans un état fiévreux enviant, depuis l’invasion de l’Irak par les Américains, le sort des kurdes irakiens. L’Iran, autant que les États-Unis, souhaite la réussite du pouvoir chiite en Irak, et ils sont tous les deux, contraints de renforcer les acquis des chiites. L’Iran a soutenu, depuis la chute de Saddam Hossein, toutes les élections organisées, la constitution de l’assemblée, et l’adoption des lois institutionnelles.
Malgré toutes les aides apportées par les Iraniens dans ce sens, les États-Unis refusent à présent l’ingérence du pouvoir politique iranien dans les affaires irakiennes. Les Iraniens ne voient pas du tout les choses sous cet angle. C’est le point de discorde entre les deux pays.
Entre temps, les Irakiens sont des témoins impuissants du déchirement et des tiraillements de leur pays entre les intérêts des pays de la région, l’Iran et l’Arabie Saoudite, l’Egypte et la Jordanie, la Syrie, d’un côté et les Américains et les Israéliens de l’autre. Les États-Unis sont ainsi contraints de se préparer pour une confrontation directe et inévitable avec l’Iran, quel que soit le prix à payer. À terme, ils sont condamnés à choisir cette option pour la simple raison que les États arabes du Golfe n’ont plus de confiance dans le pouvoir iranien et en même temps n’ont pas à eux seuls la force ni les moyens d’engager et de préparer cette confrontation. L’Iran est un maillon indispensable dans la chaîne de la politique moyen-orientale des États-Unis. Le changement du régime iranien favoriserait cette politique. Les religieux iraniens ne vont pas céder le pouvoir sans qu’il y ait un rapport de force qui les oblige à le faire.
Les États-Unis se situeraient donc, au centre de ce conflit qui est en train de se préparer avec l’aide de l’ensemble des pays qui ont un quelconque intérêt dans la défaite de ce pouvoir de plus en plus isolé sur la scène internationale et détesté, même par sa propre population. Cela se traduirait par une présence militaire accrue des américains dans cette région et leur engagement à long terme. Mais paradoxalement cette présence fragiliserait aussi les Américains face aux menaces des terroristes extrémistes sunnites et en même temps renforceraient les factions radicales du pouvoir iranien et susciteraient dans une certaine mesure, le soutien des Iraniens à leur gouvernement. Cela irait, à long terme, à l’encontre des intérêts des pays Occidentaux. Car, ce qu’il faut savoir, c’est que la population iranienne est la plus occidentalisée, et elle est celle qui a le plus de valeur en commun avec les populations européennes. C’est justement l’une des raisons de l’intégration facile et rapide des immigrants iraniens dans des sociétés occidentales. Ne peut-on envisager d’autres solutions que celles d’une confrontation frontale qui aurait certes des conséquences néfastes pour tous les pays de la région et en premier lieu pour la population iranienne elle-même ? À en croire la quasi totalité des organisations d’opposition iranienne au régime islamique, la seule alternative pour une paix durable, une stabilité politique crédible de la région est dans un soutien sans faille des pays occidentaux au processus de démocratisation de la société iranienne. Une voie moins onéreuse, moins dangereuse, sur le plan humain, matériel, et économique, serait la réussite de l’instauration d’un pouvoir démocratique en Iran.
La présence des Chinois, des Indiens et surtout des Russes aussi montre à quel point les intérêts vitaux de ces pays sont liés au sort de cette région. D’ailleurs leur diplomatie devient très active ces derniers temps dans la région avec les voyages des dirigeants de Russie et de Chine en Arabie Saoudite et dans certains pays arabes du Golfe persique. Ces deux pays profitent des situations d’échec successifs des États-Unis au Moyen-Orient comme en Afrique ou en Amérique latine, pour combler le vide et enfoncer encore plus les Américains dans leurs difficultés sur la scène internationale.
Il est vrai aussi que l’Iran, au moins à court terme, est le bénéficiaire principal de la chute des Talibans en Afghanistan et celle de l’arrivée au pouvoir des chiites en Irak. Ces changements de régimes, dans ces deux pays, avait préparé le terrain pour l’Iran : accroître son influence dans la région. L’occupation de l’Irak par les Américains sous le prétexte avancé de la découverte des armes de destruction massive, s’avéra mensonger et discrédita les hauts responsables politiques étrangers américains et G.W junior en personne. Cela rend encore plus difficile la tâche de l’administration Bush de convaincre une opinion américaine déjà affectée par ses mensonges pour une éventuelle confrontation avec les Iraniens. Ainsi, les dirigeants iraniens profitent de cette situation inespérée pour avancer leurs pions sur la scène politique régionale et mettent sérieusement en danger les intérêts américains au Moyen-Orient.
Avant l’intervention américaine en Irak en 2003, l’Iran ne s’est jamais senti aussi fort face aux Américains dans ses revendications et ses ambitions régionales. La mise en évidence de sa force nucléaire comme moyen de pression va dans le même sens pour obtenir cette reconnaissance incontestable non seulement comme pouvoir régional, mais comme seul pouvoir régional dont l’influence s’étend de l’Asie centrale à l’Afghanistan jusqu’au Golfe persique sans oublier le Liban, l’Irak, et la Syrie. Il est indéniable que la gestion de la question iranienne dans un avenir proche est un problème plus crucial que celle des relations entre les Palestiniens et les Israéliens.
L’institutionnalisation du parti Hezbollah chiite dans la vie politique du Liban, la victoire du Hamas dans l’élection de l’assemblée palestinienne, une force agissante contre Israël, ce sont des choses acquises avec lesquelles l’Etat Hébreu et ses alliés occidentaux doivent désormais compter.
En Syrie, la minorité alaouite continue jusqu’à ce jour à conserver son autorité politique sur une population majoritairement sunnite.
En Iran, l’évolution politique interne avec l’arrivée au pouvoir des forces conservatrices marquée davantage par les éléments armés de passdarans, va confirmer cette revendication de jouer un rôle prépondérant dans la région du golfe persique. Tous ces facteurs vont bouleverser certainement le paysage géopolitique de la région. (À suivre)
Ils ont quand même de la chance, ces iraniens-là… Ils n’ont pas (ou plus ?..) d’homosexuels… Ils sont bénis des dieux… Vivement une démocratie (ou theocratie ?..) à l’ iranienne en Europe. Qu’est-ce qu’on va être heureux.
Chris du Fier