Qui connaît Mangareva, cette île de l’archipel des Gambiers ? Jusqu’au 10 mai, sont exposées au musée du quai Branly des oeuvres jamais montrées au public.
C’est en effet la première fois qu’on exhibe la totalité des artefacts d’une civilisation qui tiendrait dans deux caisses à savon. Bonne initiative mais… L’exposition est sèche, triste, réduite à sa plus simple expression. Elle est remisée dans un coin du musée, mal éclairée (comme toujours au quai Branly). Ces douze objets présentés sous verre comme enfermés dans des bocaux. Les explications sont à la fois succinctes et illisibles.
Pas d’images des missionnaires, de Laval par exemple, pas d’explications sur la congrégation du sacré-Cours. Pas de photos des Gambier, de Mangareva d’aujourd’hui. Pas de planches de Beechey qui font pourtant partie de la collection du musée. Pas de films non plus. Rien à part un échéancier de la catastrophe présenté sous forme d’inventaire à la Prévert. Les objets volés dans les temples, arrachés, trouvés dans les cachettes après enquête ou achetés en souvenir par des marins de passage et posés là, nus, seuls, rendus absurdes et vains dans cette ambiance sinistre de mausolée. Puisque l’exposition sur Mangareva n’a rien à nous dire, jetons un oeil dans le catalogue de l’exposition.
Dans la préface du catalogue, le président du musée, Stéphane Martin y va aussitôt de sa séance d’astiquage des prélats et autres saintes huiles du Vatican : « Je tiens à exprimer ma gratitude à tous les muses prêteurs et notamment aux représentants de la congrégation du sacré-Cours et des musées du Vatican, héritiers d’un patrimoine longtemps rejetés qu’ils mettent aujourd’hui en valeur, comme juste retour des choses. » Pas un mot sur les Polynésiens en général, qui existent encore, ni sur les Mangaréviens à qui nous avons pris ces oeuvres.
Page 14 du même catalogue, il est écrit : « Les pirogues ne sont plus construites, leur nécessité devenant caduque en raison de l’instauration de la paix. » Faux ! Depuis quand cesse-t-on de construire des vaisseaux de guerre à cause de la paix ? La France n’est-elle pas un des plus grands constructeurs d’armes de guerre au monde ?
À Mangareva, les pirogues de guerre étaient les symboles de la puissance des chefs, ceux-ci les collectionnaient, ne cessaient d’en vouloir toujours de plus grandes. Les Mangaréviens s’étaient mis ensuite à assembler des petits troncs d’arbres pour former des radeaux tout simplement parce qu’il n’y en avait plus au tronc assez large pour y tailler des pirogues. Les grands arbres, sauf les quelques-uns « tabous », avaient tous été abattus. Ce qui enclencha un appauvrissement des sols qui sonna le glas de ce peuple. Jusqu’à transformer l’île paradisiaque en un désert sinistre, une lande désolée, habitée par les milliers de rats et quelques survivants malades.
Aucune tentative d’explications sur les mystères de cette civilisation minuscule, oubliée, perdue. Aucune question non plus sur sa brutale disparition. Par exemple celle-ci : comment deux petits curés de campagne sans armes, ont réussi à éradiquer une civilisation organisée, dotée d’une armée, d’une aristocratie, d’une religion et à convertir des milliers de Polynésiens jusqu’à les asservir, les forçant à construire une cathédrale absurde posée sur l’eau ? L’exposition aurait pu contribuer à y répondre. Ce n’est qu’une occasion manquée.
Lire ou relire dans Bakchich :
Mangareva, Panthéon de Polynésie,
jusqu’au 10 mai 2009 au musée du quai Branly
Pour en savoir plus : www.quaibranly.fr