Emmanuel de Sablet fait revivre avec « Quartett » d’Heiner Müller la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont, corps fripés mais assoiffés.
Dans le marché aux puces déserté la nuit, il est bien étrange de voir clignoter, comme un îlot perdu, le phare rouge - et non le nez rouge - du Théâtre du Picolo, avec un seul « c » s’il vous plait puisque cet ancien bistro des manouches et brocs chiffonniers vendaient du vin appelé « Picolo » d’où le terme « Picoler » ! Ce lieu atypique tout en bois vous accueille chaleureusement. La salle, très conviviale, fait office de restaurant le week-end et de salle de spectacles en semaine. Les ombres et le brouhaha des passants du marché « Malik » - prénom de l’ancien propriétaire albanais du bistro - pourchassent nos pensées.
C’est dans ce site marginal chargé d’histoire que la Compagnie a choisi, pour ses dix ans, de faire revivre ces deux démons la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont avec « Quartett » d’Heiner Müller dans une mise en scène d’Emmanuel de Sablet.
Cette pièce dont le titre « Quartett » évoque quatre personnages n’en fait revivre que deux : Merteuil et Valmont, les héros des liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, qui, par leurs jeux de miroirs, se dédoublent en l’autre, en d’autres (Madame de Tourvel, Vollanges) avec une infinie « maestria » et un détachement presque diabolique..
Sensualité démoniaque, rouge sang et bleu nuit, les serpents s’agitent et attisent nos sens ! Dans le miroir de la salle, on voit apparaître une longue silhouette qui descend pas à pas les marches du petit escalier en colimaçon ! La parole semble là pour cracher l’âpre jouissance dépouillée de tout sentimentalisme.
Les rapprochements sont des souffles à la charnière de la violence, l’haleine devient érudition et la salive miel empoisonné. « …..peut-être ferais-je mieux de parler des minutes où j’ai su vous utiliser, vous si remarquable dans la fréquentation de ma physiologie, pour éprouver quelque chose qui m’apparaît dans le souvenir comme un sentiment de bonheur. Vous n’avez pas oublié comment on s’y prend avec cette machine. » (Marquise de Merteuil)
L’expérience de la sexualité symbolise pour eux le déformatage des codes de la société. Leur survie dépend de ce dérèglement manipulatoire. Ils sont à la fois maitres et victimes dans leurs jeux meurtriers. Pour le metteur en scène, les deux personnages sont des « militants du libertinage » seule alternative au « dérèglement d’une société formatée ». Est-ce un parti-pris de mise en scène mais on ressent, contrairement au roman de Laclos, une véritable égalité entre les deux sexes et une gaieté ?
En choisissant des acteurs d’âge mûr (pour utiliser un terme aristocratique), le metteur en scène souligne à quel point le temps n’atténue en rien nos phantasmes et notre libido. Ils continuent à nous brûler, à agiter nos corps. Et nos deux héros, « usés mais coriaces » revivent - en souvenirs ou pour de vrai, le doute est permis - leurs relations volcaniques. Ils ne se résignent pas à vieillir et veulent encore et toujours « mieux comprendre le sexe, le pouvoir, la mort, pour sentir, ressentir, quelque chose, VIVRE ! » (Emmanuel de Sablet).
QUARTETT d’Heiner Müller
Mise en scène Emmanuel de Sablet
Interprété par : Joséphine Déchenaud et Claude Crétient Lumières : Cyril Hamès
Au Théâtre du Picolo jusqu’au 23 décembre (du lundi au vendredi) à 21h
Le Théâtre du Picolo : 01 40 11 22 87
58 rue Jules Vallès – Saint-Ouen 93400
Ou mél : contact [@] lepicolo.com