Chef-d’œuvre sur un massacre, « Valse avec Bachir » bouscule les genres, fouille la mémoire israélienne et analyse le cauchemar de Sabra et Chatila. A voir en streaming sur DM jusqu’au 30 novembre.
Documentaire en forme de dessin animé sur la première guerre du Liban, Valse avec Bachir retrace la propre quête du réalisateur, Ari Folman, 46 ans, ex-soldat de Tsahal, pour reconstituer les images du massacre de Sabra et Chatila qu’il a effacées de sa mémoire. Pourtant, en septembre 1982, Ari Folman a dix-neuf ans et il se trouve à 400 mètres des camps palestiniens, tandis que les phalangistes chrétiens scalpent, éventrent, arrachent les yeux de leurs victimes. De cette époque, de cette boucherie, Folman ne garde aucun souvenir…
Un jour, un de ses amis lui raconte un cauchemar insoutenable où des chiens enragés le poursuivent. Débute alors pour Folman un long travail de mémoire : il se remet à rêver, engage une thérapie et décide d’interviewer ses anciens compagnons d’arme. Mais il est hors de question pour lui de tourner un documentaire classique ou une fiction (« Je n’en avais pas les moyens »). Les témoins réunis par Ari Folman sont filmés en studio et leurs déclarations enregistrées, avant que leurs traits ne soient redessinés, reproduits, animés, tendance ligne claire et couleurs manga.
Grâce à ses images qui évoquent parfois l’adaptation parano de Philip K. Dick, A Scanner darkly, Forman mélange souvenirs refoulés, rêves, visions d’horreur et hallucinations, comme autant de pièces d’un puzzle impossible à reconstituer. On navigue en pleine poésie, en plein cauchemar, un peu comme chez Miyazaki, on pense à Shoah, un peu, et à Maus, la BD d’Art Spiegelman, beaucoup. Oubliée Marjane Satrapi et son adaptation étriquée de Persepolis, recopiage pathétique de sa merveilleuse BD. Folman est un réalisateur, un vrai, il bouge sa caméra comme Coppola, fait vibrer sa pellicule comme Fuller et nous crucifie comme Klimov.
Le massacre de Sabra et Chatila arrive dans les dernières secondes du film, aspire comme un trou noir le récit tout entier, et le spectateur avec. Et si ce soir-là, Folman était bien présent, éclairant les bourreaux avec des fusées lumineuses, il éclaire aujourd’hui, 26 ans plus tard, notre mémoire et notre conscience, avec une poignée d’images d’actualité. L’effet est ahurissant, insoutenable. On en sort avec un goût de cendres dans la bouche.