Un marché de 3,6 à 5 milliards d’euros risque de passer sous le nez de Dassault. L’armée suisse préfèrerait l’Eurofighter d’EADS pour remplacer ses vieux avions de combat F-5E et F-5F Tiger.
Neutralité et indépendance obligent, la Suisse, malgré l’exiguïté de son territoire, tient à posséder des avions de combat. Pour remplacer ses vieux Tiger, Berne a lancé un appel d’offres. Des quatre candidats au départ, Boeing a été le premier à baisser les bras. Le Gripen, du Suédois Saab, n’est plus sérieusement dans la course. Il ne reste que le Français Dassault et le franco-allemand EADS, que les tests effectués en de juillet à décembre 2008, depuis l’aérodrome d’Emmen, n’ont pas véritablement départagé. Toutefois, le Rafale aurait, selon une source militaire, un tout petit avantage sur l’Eurofighter.
Le problème, c’est que le pays des banques connaît lui aussi les fins de mois difficiles. Et qu’Ueli Maurer, le ministre de la Défense, a le défaut d’appartenir à l’Union démocratique du centre (UDC), le parti le plus à droite de l’échiquier politique helvète. Résultat, quand il ouvre la bouche, la gauche et l’extrême gauche hurlent, et le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), un puissant mouvement pacifiste, menace d’organiser un référendum. D’autant que l’armée a menti pour la facture des 22 avions de combat : 2,2 milliards de francs suisses (1,6 milliard d’euros). Alors qu’il faudra compter entre 3,6 et 5 milliards d’euros, en comptabilisant la formation des pilotes, les équipements et programmes informatiques, les systèmes intégrés de missiles…
Bref, le ministère de la Défense devrait saucissonner sa commande, d’abord 8 à 12 appareils, puis le reste étalé jusqu’en 2020. Il n’empêche, le marché suisse est juteux, surtout pour Dassault qui n’a toujours pas vendu un seul Rafale à l’étranger. Mais contrairement aux autres pays, la Confédération se prête difficilement à certaines démarches que les esprits mal tournés nomment la corruption. En effet, les décisions sont collégiales, puisque les quatre grands partis, UDC, Parti radical, démocrates-chrétiens et socialistes participent au pouvoir. Or, il existe toujours un député ou un sénateur honnêtes qui risqueraient de crier au scandale et de faire tout capoter.
Le système suisse s’appelle la « collaboration » : le concurrent qui offre le plus de contrats à des entreprises suisses à gagner. Pour faire simple : le concurrent propose de faire fabriquer certaines pièces de l’avion dans des sociétés suisses. Même des petites pièces, qui seront facturées à prix d’or. Parfois, par le plus grand des hasards, l’heureux gagnant est le frère ou le cousin d’un haut fonctionnaire du ministère de la Défense ou un élu influent. Dassault pensait avoir frappé un grand coup en proposant à la société RUAG, l’entreprise nationale suisse d’équipement militaire, de s’occuper de la confection des réservoirs de carburant du Rafale. Une bonne initiative mais un petit marché. EADS vient d’offrir à RUAG une collaboration pour la maintenance, le développement, la construction et la production non seulement de l’Eurofighter, mais aussi de ses avions civils, comme l’A320. Un contrat qui pourrait s’étaler sur dix ans, voire plus. En clair, EADS cherche à obtenir une victoire plus symbolique que financière. À la limite, l’avionneur franco-allemand risque de vendre 22 avions de combat à la Suisse pour “peanuts“. Mais Dassault, qui n’a pas les reins aussi solides, ne pourra sans doute pas s’aligner. À moins de faire fabriquer la totalité du Rafale en Suisse…
Amédée Sonpipet