GENERALITES

Face aux incertitudes accrues de l’avenir, au manque de recul, à l’impossibilité de prévoir les cycles auxquels sont confrontés l’entreprise, celle-ci éprouve davantage le besoin d’avoir recours à la prospective

 Origine de la prospective en entreprise

C'est aux Etats-Unis que la prospective a commencé à trouver ses premières applications pratiques sous la dénomination « futures research ». La Rand Corporation a lancé dès 1945 les premières études avec des objectifs essentiellement militaires. Avec près de vingt ans de retard sur les militaires, la prospective gagne les universités américaines puis le milieu politique. Depuis 1964, de nombreuses entreprises américaines ont constitué des groupes qui aident les directions à prendre leurs décisions, notamment avec le développement de la planification stratégique. Après le choc pétrolier de 1973, une cinquantaine des plus grandes entreprises américaines des secteurs sensibles à l’environnement (énergie, transports…) ou fortement concurrentiels (cosmétiques, distribution), ont eu recours à scénarios prospectifs pour leurs stratégies futures. Depuis, plus de la moitié des 500 plus grandes entreprises américaines sont dotées de cellules de prospective.

En France, la prospective a longtemps été l’apanage de l’administration avec le rôle privilégié joué par le Commissariat Général du Plan dès 1958 puis par la Datar (créée en 1963), suivis par divers ministères, les collectivités locales, puis par les grandes entreprises. Parmi celles-ci l’Oréal, Péchiney, AXA, Total, Lafarge, Renault, EDF, la Poste, la SNCF font figure de précurseurs en prospective.

Depuis le début des années 90, la place de la prospective dans les entreprises a été plutôt fluctuante. Souvent la dictature du court terme imposée par les actionnaires est incompatible avec la prospective ou lui fait privilégier une prospective simplifiée, s’apparentant davantage à la prévision et à l’extrapolation ou à la veille informationnelle.

Pour Jacques Arcade, consultant spécialisé en prospective, "si les cellules de prospective au sein des groupes ont connu un effet de ressac, c'est qu'elles n'ont pas su identifier de missions intéressantes au-delà des scénarios. Les prospectivistes sont restés trop prospectivistes. Il y a donc eu une espèce d'essoufflement une fois les scénarios faits. Il y a eu aussi un effet de télescopage entre différentes fonctions."

 Vers un regain d'intérêt ?

Le responsable de la prospective à EDF, M. Assaad-Emile SAAB, connaît bien ces fluctuations. Il a été l'un des initiateurs de l'étude sur la place de la prospective dans les grands groupes (qui a donné lieu à la publication de l'ouvrage "Prospective stratégique d'entreprise") : "Pendant 10 ans, la prospective a été un investissement fort à EDF. On est actuellement dans une période en dents de scie. La prospective est assez cyclique. Mais, actuellement une prise de conscience est en train de se faire, je suis un peu plus optimiste qu'avant". Cette fluctuation dans l'intérêt porté à la prospective est aussi expérimentée dans d'autres grands groupes.

Ainsi à la SNCF, Michel Mercadier, en charge de la prospective, dit faire preuve d'un certain optimisme après les quelques années de passage à vide qui avaient fait suite au départ de Jacques Lesourne, le créateur de la fonction.

De plus en plus d'entreprises se sont récemment engagées dans une démarche de prospective.

On peut mentionner parmi celles-ci des entreprises aussi diversifiées que Carrefour, Danone, Décathlon, Galeries Lafayette. Dans d'autres entreprises comme Gaz de France ou la SNCF font même effectuer à certains de leurs jeunes cadres des parcours spécifiques de formation à la prospective.

  Le cas particulier des PME

Faute de moyens de pouvoir entretenir des cellules dédiées, les PME étaient exclues de la démarche prospective mais depuis quelques années elles réalisent des expériences dans ce domaine. Cette prospective fonctionne souvent de façon "partagée"  dans la cadre de rencontres et de réseaux : séminaires ou colloques sur le sujet, participation à des clubs de réflexion, formations spécialisées, actions organisées au sein de certaines CCI… Les consultants peuvent eux-mêmes constituer des interfaces car ils peuvent proposer des études multiclients et faire travailler ensemble des organisations parfois concurrentes.

Parmi les nombreuses expériences intéressantes qui ont vu le jour ces dernières années, mentionnons celle du Club CRIN Prospective. Créé par l'association Ecrin dont le but est de favoriser les relations entre industrie et recherche, ce club organise des rencontres et échanges entre prospectivistes de nombreux secteurs techniques www.ecrin.asso.fr.

Mentionnons aussi l'expérience innovante du réseau d'experts en prospective réunis par la start-up américaine Foreview (www.foreview.com) qui cible prioritairement les PME.

Pour son fondateur Robert Mogel : "Faute de mieux, beaucoup d'entreprises établissent leur stratégie en fonction d'évènements passés ou actuels. Mais alors qu'il est assez facile de savoir quelles sont les tendances à l'œuvre actuellement, il est autrement plus difficile de bien appréhender le futur. Une solution consisterait à pouvoir interroger les meilleurs experts, mais c'est loin d'être évident de les contacter. C'est la raison qui m'a poussé à créer Foreview".

La prospective peut même concerner des TPE et des professions libérales ainsi qu'en atteste René Duringer, Directeur des études prospectives & du congrès national au sein du Conseil Supérieur de l'Ordre des Experts-Comptables :

"Depuis dix ans, notre profession s’est engagée dans une démarche de changement et c’est l’objet du congrès annuel de présenter les meilleures voies de développement possibles. Je travaille pour et dans le futur en explorant à chaque fois de nouveaux territoires. C’est un poste de vigie qui permet d’étudier les meilleures pratiques au sein de notre secteur, de lancer des enquêtes, de traquer le moindre signal faible dans l’environnement."

  Des rapports parfois complexes avec les autres fonctions de l'entreprise

• Prospective et stratégie

  La fonction prospective en interne

La prospective descend de son piédestal et qui devient une fonction transversale de l'entreprise. 

Pascal Perrin, de la Direction Plan & Stratégie de France Télécom explique cette évolution du positionnement de la prospective dans son entreprise :

De fait, la principale raison des structures de prospective reste et doit rester une fonction d’animation, pour les groupes de travail et les réseaux à la fois internes et externes, multidisciplinaires et hétérogènes, lieux de rencontres et d'échanges, et une fonction d’anticipation au service de l’action.

La prospective est affaire d’Hommes, de sensibilité/compatibilité et sa réussite est conditionnée aux choix de départs. L’entreprise en tant qu’entité à une personnalité, une mentalité, des valeurs à prendre en compte et à respecter. Si un changement en profondeur doit s’opérer, il passera par les équipes qui s’approprieront et mettront en œuvre les objectifs prospectifs. La prospective est donc moteur des énergies individuelles dans un mouvement fédérateur, elle dynamise l’entreprise au sein d’un projet émergeant qui déclenche et pérennise les enthousiasmes personnels suscitant au passage créativité et intelligence collective