Droit international public
"C'est un progrès de la justice considérable !" Pour Jacques Robert, universitaire et juriste éminent, membre pendant neuf ans du Conseil Constitutionnel, la création d'une Cour pénale internationale marque une avancée remarquable. La législation pénale "progresse et s'élargit" à toutes les barbaries postérieures. Cette Cour devient, dit-il, "le maillon d'un droit qui s'affine en se généralisant. Si bien que les responsables des crimes ne sont plus assurés de retraite paisible", Christian Graeff, diplomate, doyen jusqu'en 1998 du Conseil supérieur de la magistrature qui présente et conduit les débats ce soir-là, voit aussi dans la création de la Cour "une avancée" pour l'humanité.
Premières expériences peu concluantes
Les expériences antérieures, en effet, n'ont pas été toujours concluantes. On a eu les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, après la guerre : "c'étaient des tribunaux de vainqueurs qui jugeaient dans l'arbitraire le plus total". Pourquoi, interroge Jacques Robert, Hiro-Hito n'a-t-il pas été jugé comme criminel de guerre ? Parce que Mac Arthur a dit qu'il ne répondait pas de l'évolution démocratique du Japon si on faisait passer l'Empereur devant le tribunal ...
Le tribunal pénal pour la Yougoslavie et le tribunal pour le Rwanda montrent de leur coté leurs limites : "nous voyons les difficultés rencontrées pour arrêter les criminels et le procureur général ne peut même pas entrer au Kosovo!" Des expériences conduites, une fois les forfaits commis, comme dans le cas de Pinochet et Pol Pot.
D'où l'idée de créer, à usage général, de façon permanente, dans le cadre de l'ONU, pour que toute la communauté internationale y soit associée, une juridiction pénale internationale qui aurait vocation à poursuivre, partout, quels que soient les auteurs, les plus grands crimes et les forfaits les plus abominables. Quels crimes, quels forfaits ? Dans quelles conditions ? Maints problèmes ont surgi dans les débats préparatoires.
Quatre crimes
Relèvent de la compétence de la nouvelle Cour :
- le crime d'agression : malheureusement cette catégorie, indéfinissable, n'est toujours pas définie.
- le crime de génocide : lorsque les actes abominables ont été commis dans l'intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux
- le crime contre l'humanité : lorsqu'il est commis dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique lancée contre une population civile, avec des actes allant des meurtres à la torture, à la prostitution forcée...
- le crime de guerre : il vise des meurtres commis sur une grande échelle, à l'occasion de conflits entre Etats.
Les droits de la personne me paraissent être convenablement sauvegardés par les procédures de la Cour, estime le professeur Jacques Robert, à la lumière de l'examen des 128 articles des statuts : libre choix de la défense, aucune contrainte, assistance obligatoire d'un interprète, protection des témoins, huis clos possible, présomption d'innocence, etc
Les dix huit juges seront élus pour neuf ans, non renouvelables, exerçant à plein temps, jouissant de
l'immunité diplomatique. La peine de mort est exclue dans les sentences.
Sur la mise en ouvre de la Cour, des questions surgissent auxquelles ne répondent pas toujours le libellé actuel des statuts, qu'il faudra compléter par un règlement intérieur, en attendant de constituer une jurisprudence. Jacques Robert cite des exemples :la Cour sera-t-elle libre de juger qui elle veut ou lui faudra-t-il obtenir le concours antérieur des Etats concernés ? Les pays scandinaves, le Canada, l'Allemagne estiment que la Cour doit être totalement indépendante. Le Conseil de sécurité de l'ONU pourra-t-il stopper des enquêtes en considérant que les poursuites sont un danger pour la paix ? Un argument entendu à propos du Chili et du Cambodge ("vous allez ressusciter des troubles !").
La souveraineté des Etats mise en cause ?
La Cour internationale porte-t-elle atteinte à la souveraineté des Etats ? Pourra-t-elle disputer leurs compétences aux juridictions pénales d'un pays ? Elle ne pourra se saisir d'un cas déjà jugé ou en train d'être jugé, d'où le risque suivant :un pays déclare s'occuper de ses criminels mais laisse traîner l'affaire ... Un criminel saisi pourra-t-il être extradé ? Beau sujet pour notre Conseil constitutionnel (qui a délibéré le 22 janvier de tous ces problèmes) car la France refuse l'extradition de ses nationaux et sa constitution donne l'immunité au Chef de l'Etat pendant toute la durée de son mandat. (D'où une révision nécessaire de la Constitution pour la ratification par la France du traité instituant cette Cour).
Une ambiguïté à lever également : les crimes poursuivables seront-ils ceux postérieurs à l'entrée en vigueur du traité, mais aussi les crimes antérieurs jugés imprescriptibles ?
Tout Etat signataire pourra déférer une situation devant la Cour ainsi que le Conseil de sécurité et le Procureur lui-même, après le feu vert d'une chambre préliminaire. L'irrecevabilité tombera quand il y aura mauvaise volonté manifeste d'un Etat qui ne veut pas poursuivre. Le droit international applicable sera tiré des principes généraux en vigueur dans le droit des nations civilisées, ce qui relativise sérieusement les objections de ceux qui s'accrochent à la souveraineté des Etats.
Ratification probable
A quand l'entrée en vigueur ? Ce sera deux mois après la ratification de 60 Etats au moins. Ce qui demandera du temps, mais est tout à fait possible d'autant que sept ans plus tard, le traité sera réexaminé. La plupart des pays développés ratifieront le traité pronostique J. Robert qui, avec Jean Daniel, se félicite de constater que "l'universel est en train de prendre le pas sur l'international" ... Mais certains pays au Sud notamment ne partagent pas les grands principes démocratiques des pays du Nord. Si dans les pays du Nord, le clivage se situe entre les défenseurs des droits de l'homme et les "souverainistes", un autre clivage existe qui se manifeste sur le terrain culturel, relève Ch. Graeff : tous les pays n'ont pas ratifié la déclaration universelle des droits de l'homme : "Vous avez vos droits, nous avons les nôtres !" disent ces pays.
Notes de Michel Cuperly Regards sans frontières mars 1999 3