L'idée dominante dans le cadre des réflexions actuelles consistant à prévoir pour la majorité des cadres A le forfait jours, si elle débouche à l'issue des négociations dans chaque administration, conduira certainement à la mise en place de droits à congés-jours (pour éviter les critiques de tous ceux, nombreux, qui pensent qu'il n'y en aura pas assez).
La RTT n'a sans doute pas qu'une vocation fictive pour les cadres dans l'esprit des décideurs; personne ne penserait qu'il est souhaitable que les cadres ne prennent pas leurs jours RTT et qu'ils compensent eux-mêmes le temps diminué de leurs collaborateurs et l'éventuelle chute de productivité qui en découlerait. Pour autant il nous semble que ces jours supplémentaires de congés ne pourront être pris sans remise en cause de la qualité et de l'efficacité du service public que si les modalités de délégation, de responsabilité et d'organisation du travail sont remises à plat pour les différents niveaux d'encadrement.
Il faut se préparer à accepter que la ressource temps des cadres est rare, comme celle de tout agent. Et qu'elle a donc une valeur.
Par ailleurs, dans un contexte général de difficultés de recrutement qui risque de perdurer dans notre économie, voire s'aggraver, la fonction publique va être confrontée, pour les postes très qualifiés( quel que soit le niveau de qualification ) au même problème que les entreprises privées : elle va devoir, comme celles-ci, apprendre à motiver et fidéliser les agents. Les ressources existantes, notamment les femmes et les jeunes, doivent être mobilisées : cela passe par une prise en compte du souci d'équilibre entre vie professionnelle et vie privée, actuellement porté par les femmes, mais aussi par de plus en plus d'hommes, notamment des jeunes générations. L'administration pourrait, au moment où elle met en place la réduction du temps de travail pour ses propres agents, montrer l'exemple. Aujourd'hui la capacité d'une organisation à favoriser l'équilibre personnel entre vie privée et vie professionnelle de ses salariés est un facteur discriminant de la motivation, et donc de la qualité des prestations rendues.
Enfin, il paraît également essentiel de ne pas dresser par les choix organisationnels un nouvel obstacle pour l'accès des femmes cadres aux postes de décision dans la fonction publique.
Nous pensons en conséquence que la réduction du temps de travail pour les cadres nécessite une mise à plat et une réforme profonde de l'organisation du travail dans les administrations et en particulier dans les administrations centrales.
Une gestion de la ressource temps
la remise en cause du critère " non-dit " de la disponibilité horaire journalière maximale comme critère principal d'appréciation et d'évaluation des cadres supérieurs.
Nous demandons à ne plus laisser considérer la présence tardive comme un signe d'efficacité.
Nous suggérons que la capacité à déléguer des responsabilités soit valorisée dans la carrière
la remise en cause des pratiques de " commandes " en urgences que les cabinets ministériels ont au fil des années largement systématisées à l'encontre des administrations, et qui par enchaînement peuvent perturber de nombreux services. Ces pratiques reposent pour une large part sur des défauts d'organisation et d'anticipation dans les équipes des cabinets, sur un certain " mépris " des fonctionnaires des administrations centrales issu de l'ignorance ( au motif que leur temps n'est pas une ressource rare ), et sur une absence de prise en compte des processus de circulation des commandes jusqu'à leur aboutissement vers l'équipe ou la personne adéquates ( processus souvent coûteux en temps et jamais pris en compte a priori dans les délais d'urgence affichés ).
Nous suggérons que toute commande de cabinet à administration respecte un délai minimal (trois semaines par exemple et que le cas d'urgence avérée soit limité de manière forte (les constats de sociologie des organisations peuvent indiquer qu'on devrait rarement dépasser le taux de 10 % des commandes).
de la même façon, la remise en cause des commandes et instructions désordonnées des administrations centrales vers les services déconcentrés. La multiplicité des priorités affichées par le niveau central, en général sans coordination globale, conduit à des conflits objectifs de réalisation et à des pertes de temps considérables pour les services déconcentrés. Les tentatives d'organisation tentées jusqu'alors ont connu dans la pratique peu de réalisations.
Nous suggérons que des processus de coordination en amont souples mais efficaces soient instaurés obligatoirement dans chaque ministère pour l'impulsion des politiques des services déconcentrés.
la remise en cause des réunions longues et régulières à but de lieux d'échanges d'information et de "rapport d'activité" pour l'échelon supérieur, à chaque niveau d'encadrement,au profit de réunions moins nombreuses de coordination, et de réunions ou séminaires de travail sur des sujets précis.
Nous suggérons que des pistes alternatives à la pratique des réunions, offertes notamment les Technologies de l'Information et de la Communication, soient davantage explorées pour l'échange simple d'informations
Ces chartes devront notamment prévoir les règles d'organisation s'appliquant aux réunions. Nous préconisons de ne pas fixer d'heures de début de réunion au-delà de 17 heures, de fixer systématiquement des ordres du jour, et de prévoir des relevés de conclusions.
Nous demandons que les outils et méthodes de télétravail soient utilisés et mis à disposition de tous les cadres qui le souhaitent, et ne soient pas considérés négativement comme c'est encore largement le cas aujourd'hui dans les pratiques managériales habituelles.
Des processus de décisions opératoires
prendre du temps en amont pour gagner en efficacité :
Nous proposons l'adoption dans chaque administration d'une Charte des temps, à l'instar des initiatives déjà prises par la direction du Trésor au ministère de l'Economie, et par la direction de la coopération de la DGA au ministère de la Défense.
C'est d'abord le développement de la méthode du consensus, qui implique que telle organisation proposant une nouvelle orientation fasse l'effort de persuader en amont et au fil des projets ses partenaires, quitte à faire un effort de créativité dans son initiative.
Cette méthode est encore insuffisamment appréhendée, notamment dans les têtes de pont que sont les administrations centrales. Or l'Etat, quel que soit le domaine d'intervention, développe en région et avec les acteurs locaux de plus en plus de partenariat, qui nécessite des agents de bon niveau et du temps d'écoute et de dialogue important : ces expériences de coopération sur le terrain montrent concrètement la nécessité grandissante de développer des consensus, efficaces mais chronophages, et dont il est essentiel de tirer les conséquences en termes de profils et d'effectifs nécessaires.
Cela peut être grandement facilité par la valorisation dans les carrières des comportements et des parcours de décloisonnement, de mobilité, d'échanges d'information, etc.. Ceci reste largement à faire pour les cadres de l'administration. La question des effectifs des services déconcentrés mérite aussi d'être posée.
préparer pour aller vite
Quelques règles pratiques de préparation des réunions sont susceptibles d'améliorer grandement l'efficacité des travaux de coordination : Exemple des réunions d'arbitrage, mais qui pourrait s'appliquer à de nombreux types de réunions, notamment au niveau territorial :
- refus de convocation de réunions interministérielles en l'absence de réunions préparatoires préalables suffisantes entre administrations sur leur initiative
- rendu compte préalable précis des points à arbitrer, constituant un ordre du jour
- annulation de toute réunion interministérielle pour défaut de dossier disponible aux participants 5 jours à l'avance ( 2 jours en cas d'urgence )
- limitation du nombre des participants
Une exécution suivie des décisions
Des règles de mise en oeuvre des décisions s'imposent pour gagner là encore en efficacité et en économie de temps. L'expérience montre qu'elles ne sont pas largement pratiquées, et que la fonction publique a parfois tendance à s'exonérer de responsabilité en la matière.
Quelques idees peuvent être :
- la fixation d'un responsable de la mise en ouvre pour chaque décision arbitrée en interministériel ( un titulaire d'une fonction opérationnelle, quel que soit son niveau, appelé dès lors à raisonner en termes de mise en place du projet avec différents partenaires ; éviter de désigner une organisation en général ); ceci éviterait d'être dans la situation de s'interroger a posteriori sur les responsabilités de mise en ouvre,
- un délai de mise en ouvre affiché,
- la mise en place d'un système d'évaluation par les objectifs pour les cadres supérieurs: cela implique que soient objectivés de manière claire chaque année les résultats à atteindre, à chaque niveau d'encadrement supérieur, y compris au niveau de chaque directeur d'administration centrale.
L'objectif général de réfléchir aussi aux questions de mise en oeuvre et d'exécution des mesures publiques, en lien avec la RTT, est de donner du sens à un temps de plus en plus contraint et de ne pas démotiver les agents par un sentiment accru de travailler dans le vide, qui risque d'empirer si les objectifs persistent à être souvent hors de vue.
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