L’homme blessé
Grâce à son utilisation des réseaux occultes lyonnais, à une stratégie clientèliste très poussée, et qui a fonctionné redoutablement, Collomb avait su se créer un fief en béton. Loi du silence dans les milieux politiques comme journalistiques, célèbres colères, rancune tenace, ostracisme absolu (impossible à quiconque n’était pas de son sérail de briguer un poste avec succès), réseau de copains de longue date avec qui les secrets partagés étaient gages de neutralité bienveillante (au pire), mainmise redoutable sur le PS lyonnais, tout cela lui permettait de tenir une ville de Lyon habituée à ne partager ses secrets que dans les alcôves lyonnaises.
Et cela pouvait durer. Entouré d’une cour de fidèles prêts à tuer pour lui (oh, sans oublier de se servir au passage, comme je l’ai déjà montré), il était quasi intouchable. Et beaucoup de ses anciens contradicteurs avaient même fini par se coucher devant lui, pour assurer un avenir qui autrement était bien compromis…
Quand à la droite lyonnaise, des erreurs manifestes des parisiens (vouloir imposer Perben, quelle erreur, surtout sans utiliser la formidable connaissance et compétence de Millon !), et une stratégie gagnante d’achat et de division de Collomb, lui avaient permis de la mettre dans un état assez pitoyable, le résultat des municipales était assez explicite à ce sujet.
Pour tout dire, ce que Collomb était à Lyon n’était pas sans rappeler ce que Sarkozy est à l’Etat.
Mais Gérard Collomb vient de commettre une erreur que tant d’autres ont commise avant lui… Il s’est vu empereur quand il n’est que baron… Il s’est vu un destin national, quand il n’est qu’un gestionnaire, avisé, de province.
Ses mauvais côtés lui étaient pardonnés dans son camp quand il ne s’occupait que de local où il était efficace, et qu’il délaissait le champ des idées où peu le suivaient. Tant qu’il suivait Rocard, puis Strauss-Kahn, et enfin Ségolène, il était suivi. Mais force est de reconnaître que peu sont prêts à le suivre sur ses idées, surtout quand il se montre de plus en plus destructeur pour son parti.
Il a commencé ainsi à se mettre du monde à dos en promouvant un système lyonnais soi-disant pragmatique, en réalité clientèliste et gestionnaire, au dernier congrès, où il se voulait pivot et s’est retrouvé accessoire. Au lieu d’en tirer les leçons, il s’est entêté. Et il a commencé à se faire des ennemis, en faisant pression même sur ses anciens amis qui n’avaient pas eu le bon gout de choisir son chemin. Les maires du 1er et du 4ème ont payé cher leur choix de Delanoë. Et tant d’autres.
Mais là où il vient de commettre l’irréparable, c’est pendant les européennes. Tout pouvait lui être pardonné tant qu’il apportait des victoires. Mais son action n’a échappé à personne, et l’issue des européennes dans le Rhône-Alpes est une UMP raffermie (Mme Grossetête qui dirigera la liste UMP n’était que peu connue, la voilà grande victorieuse des européennes), et des Verts aux ambitions légitimes pour les régionales.
Belle réussite dont il cherche à se dédouaner, mais trop de monde se rappelle son « j’irais voter socialiste par discipline ».
En effet, tout le monde au PS se faisait du souci pour les régionales… Parité accrue, sortants inquiets par la faute du nécessaire renouvellement, la situation était déjà explosive. Et voilà que maintenant, les Verts, forts de leurs scores supérieurs, veulent la moitié des places, voire la tête de liste ! Autrement dit, ceux qui déjà s’étripaient pour les deux tiers des places du tour précédent, devront s’en partager au mieux la moitié ! Pensez si ça fait des heureux !
Et Jean-Jack Queyranne, qui trouvait sa place de président de région plus confortable que celle de ministre, se voit menacer jusque dans la tête de liste… De quoi raviver les mauvais souvenirs de l’époque où Collomb victorieux à Lyon lui avait soufflé la présidence du Grand Lyon qu’il guignait, avec de solides arguments puisque député maire reconduit de Bron !
Et, bien au-delà, l’armée de collaborateurs bien au chaud dans les locaux de Charbonnières, qui pensaient déjà au déménagement au Confluent, est en train de penser aux lendemains qui risquent de déchanter fort !!! Et cela va alimenter les inquiétudes jusque dans les cabinets de Collomb (et oui, il faudra faire de la place ailleurs à ceux qui auront perdu leur poste) , cabinets qu’il a fait tout-puissants, puisque dépendants de lui pour manger, aux dépens des élus dont Collomb a toujours été méfiant…
Et on sous-estime trop l’influence énorme de ces « petites mains » dans un PS lyonnais « accro » aux cumuls. Les élus cumulards ont pris l’habitude de laisser une autonomie grandissante à ceux à qui ils sont bien obligés de déléguer, parce qu’ils connaissent le terrain. Ceux-là se satisfont des coulisses, parce qu’ils ont leur quota de pouvoir, mais aussi parce qu’ils se pensent moins touchables. A tort, cette fois-ci…
Alors, quand Lyon Capitale se met à enquêter sur Collomb, c’était déjà un signe d’affaiblissement. Renforcé par l’écho très favorable rencontré. Mais quand LibéLyon titre aussi sur la vague de critiques que soulève Collomb, les signes deviennent flagrants.
Encore plus quand on connaît les défauts propres aux journalistes lyonnais, amateurs de petits fours, qui vont plus souvent chercher l’information auprès des collaborateurs que dans les salles et auprès des militants (c’est plus long, aléatoire, et fatiguant). Ce que Lyon Capitale fait parfois, assez adroitement d’ailleurs. Mais les autres journalistes ont leurs habitudes…
Et LibéLyon a ses entrées plutôt au niveau de la région…
Doit-on en déduire que si LibéLyon se met à parler sur Collomb, c’est qu’il a senti l’exécutif régional plus enclin à lâcher Collomb ? Que ses mercenaires ne soutiendront guère…
Toujours est-il que la marmite qui servait à étouffer affaires et rebellions a de plus en plus de fuites !
Et déclarer lors de son voyage au Japon : « Le PS, je vais le dynamiter. Je vais faire comme j’ai fait pour la droite et le MoDem à Lyon : je vais le tuer », c’est révéler ce qui le motive réellement quand il se dit réformateur. Le problème est qu’en disant cela, il fait réagir ceux qui sont attachés au Parti socialiste. Et qui ne suivront pas Collomb dans cette aventure-là !
Et la grenouille a toujours tort de vouloir se faire aussi grosse que le bœuf.
Collomb a encore, a priori, une chance de reprendre en main ses affaires locales s’il reprend son ancienne stratégie, silence, omertà, discrétion et petites affaires entre amis.
Mais rester en pleine lumière, à se vouloir une gloire nationale, à se vouloir revanchard, ne fera que hâter une chute qui se laisse entrevoir.
Au fond, le meilleur ennemi de Collomb, c’est lui-même…
Encore un point commun avec Sarkozy ?