La plus grande force de Gérard Collomb, c’est son habileté stratégique, mais aussi sa capacité de négociation. Il est réputé pour cela, même si lors du dernier congrès, ce n’était pas flagrant. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler que Gérard Collomb a réussi à être président du grand Lyon en 2001, alors que la droite était majoritaire. J’ai déjà, dans d’autres articles, décrit la manière dont il s’était débrouillé pour cela. Que l’on trouve cela habile ou cynique, toujours est-il que c’est indéniablement une grande force. Qui a fait ses preuves.
Mais pour négocier, il faut offrir des places. Et c’est là, peut-être, que la perversion du système point. En effet, pour négocier, il faut avoir en face de soi soit des amis, soit des gens prêts à négocier, c’est-à-dire des gens qui sont plus intéressés par l’obtention d’une place que par porter des idées. Et c’est ce que l’on constate sur Lyon, progressivement, tous ceux qui sont accrochés à tout prix à leurs idées, si elles ont le malheur de ne pas être celles de Gérard Collomb, sont progressivement écartées, systématiquement, de tous les postes possibles. Comme je l’ai déjà raconté, c’est même valable (peut-être même encore plus) pour ceux qui jusqu’à présent suivaient Gérard Collomb, et qui ont préféré les sirènes de Delanoë ou d’Aubry à celle de Ségolène. Cela fait plusieurs années que c’est un secret de polichinelle dans ce parti socialiste lyonnais qu’il n’y a plus de vraies élections, dès qu’il s’agit de place réellement intéressante : conseil général, assemblée nationale, grand Lyon, conseil municipal, sont systématiquement pourvus par des élections à une seule liste ou un seul candidat, « proposés » par Gérard Collomb, qui seul est maître de la stratégie. Et c’est un autre secret de polichinelle que de savoir qu’il faut impérativement être membre de certains cercles (qui, en soi, bien que discrets, sont tout à fait honorables, avec souvent des buts honorables, mais dont l’usage est alors dévoyé) pour faire parti de ces élus là. Lyon Mag, avant ses déboires, au printemps comme à l’automne 2008, avait d’ailleurs sortis deux articles relativement bien renseignés sur l’hégémonie de certains cercles au conseil municipal. Mais ils avaient été rassurés par certains élus qui affirmaient ne pas en être. Le problème est que la logique de ces cercles fait que tout membre peut très bien affirmer ne pas en faire parti, et ne doit en aucun cas être démenti par ses pairs. On voit là la limite du système, et de l’enquête. Ceci étant, il est facile de constater que ce sont toujours les mêmes personnes qui sont systématiquement positionnées dans ces situations-là. À partir de là, que reste-t-il aux militants ? Quelques places, éventuellement, et elles sont chères car peu nombreuses, ce qui d’ailleurs en amène plus d’un à se vendre pour y arriver ! Ce sont les places d’adjoint et d’élus dans les conseils d’arrondissement, mais surtout les tâches pénibles que l’élite lyonnaise du parti socialiste ne veut pas prendre en charge : conseils de quartier, distribution de tracts, voire distribution des journaux des députés (qui, du coup, peut faire l’économie d’une distribution professionnelle, que pourtant, ces indemnités lui permettraient de prendre en charge : elles ont été conçues pour ça aussi).
Comment s’étonner alors qu’il y ait un turn-over aussi important chez les militants lyonnais ? Comment s’étonner alors qu’il soit si difficile de savoir exactement quelles sont les militants dans les sections ? Comment s’étonner alors que, dans certaines sections, des luttes importantes fleurissent pour résister aux manoeuvres de Gérard Collomb ? Comment s’étonner alors que beaucoup de militants se montrent désabusés quand Gérard Collomb se montre en parangon de la démocratie participative, de nouvelles manières de faire, du renouveau du PS ?
N’est-ce pas justement là le vrai problème qu’a à affronter le PS actuellement ? Une « élite » autoproclamée qui s’attribue entre gens de bonnes mœurs les places intéressantes ? Comment considérer autrement l’arrivée brusquement à de très hautes responsabilités de gens qui sont arrivés directement au parti socialiste six mois avant d’être élu, qui vice-président de région, qui maire du troisième arrondissement, qui conseillère générale du troisième arrondissement ? N’est-ce pas justement à l’opposé même des thèses socialistes que d’attribuer à un cercle restreint des fonctions électives qui, normalement, doivent permettre au conseil municipal, au conseil du grand Lyon, au conseil régional, une représentativité réelle de la population correspondante, et qui donc devrait être diverse ?
Au fond, il n’y a guère qu’une personne qui peut répondre à cela : Gérard Collomb. Il lui suffirait de laisser les votes se faire normalement, pour que puissent émerger enfin des militants, avec leurs idées, dans leur diversité, qui pourrait ainsi représenter réellement la population lyonnaise. On peut toujours rêver ?
Mais au fond, la cooptation n’est-elle pas la maladie même de la vie politique française ? Cette maladie qui fait que les électeurs sont désabusés, perdus ? N’est-ce pas là l’origine du « Tous pareils, tous pourris » ??? Et la génération montante, trentenaire, totalement décomplexée, qui annonce tranquillement que la génération des quadragénaires est sacrifiée, et qu’il leur faut commencer à prendre les places aux « vieux » élus (voir les déclarations de Najat Belkacem à ce sujet), ne laisse que peu d’espoir que la situation change !
C’est en fait, sous couvert de démocratie, un système féodal parfaitement entretenu, bien rôdé. La filiation n’est plus biologique, mais choisie, c’est la seule modification.