Exception culturelle, exception française ?

Exception culturelle, exception française ?

André R. Lewin

La France vue par un Américain... Les nobles dans la diplomatie Le Ministère des Affaires Etrangères

Le XXI° siècle, avec ou sans la France?

TABLE DE POLITIQUE INTERNATIONALE France politique

La France, "grande puissance" ? Même le général de Gaulle ne le pensait pas, qui disait : "Je n'ai qu'un seul rival, c'est Tintin; nous sommes les petits qui ne veulent pas se laisser faire par les grands". Et l'ancien Premier ministre gaulliste Michel Debré avait coutume de dire : "Oui, la France est au deuxième rang, mais un deuxième rang, c'est encore un rang". La France ne peut pas - ne peut plus - agir seule, et elle le sait; elle n'a pas la vocation de l'unilatéralisme, non plus que les moyens : sa population, sa superficie, son PNB sont moyens, et son budget militaire est le dixième de celui des Etats-Unis; mais sa réflexion a toujours été tentée par l'universel, et son action internationale s'y emploie. En effet, la voix de la France se fait fort bien entendre, qu'elle agace - parfois - ou qu'elle intéresse - souvent : en refusant de suivre aveuglément la voie tracée par d'autres - particulièrement par "UN" autre, en essayant de concevoir des propositions originales qui s'éloignent des formules toutes faites ou des solutions de force, en tenant de faire partager ses préoccupations et ses conceptions par ses partenaires, au sein de plusieurs cercles privilégiés :- cercle de l'Union européenne - et singulièrement Allemagne, l'ancien ennemi héréditaire - ferment d'une personnalité autonome de plus en plus forte et présente dans les domaines de l'économie, de la politique extérieure, de la défense, de la recherche, du progrès social, de la culture; - cercle de la Francophonie, où 51 pays partagent avec elle sa langue, et plus encore les valeurs de tolérance et de progrès qu'elle véhicule; - cercle des amitiés traditionnelles en Afrique, comme l'a montré le récent 22ème sommet Afrique-France, qui a réuni à Paris 52 délégations; - cercle des pays du Tiers monde et surtout des Pays les moins avancés, dont Paris se fait traditionnellement le défenseur; - cercle de la diplomatie multilatérale, dans les organisations internationales dont elle est membre, et surtout aux Nations Unies, où ses responsabilités reconnues en matière de paix et de sécurité internationale lui assurent l'un des cinq sièges permanents au Conseil de sécurité - mais elle a usé de son droit de veto avec discrétion - 18 fois depuis 1946, contre près de 120 fois pour l'ex URSS/Russie, près de 80 fois pour les Etats-Unis, près de 40 fois pour le Royaume-Uni;- cercle mondial enfin, car la diplomatie française est active dans presque tous les pays, au nom de l'égalité souveraine des États - elle est l'un des très rares États à avoir partout des ambassades, des missions permanentes ou des consulats généraux : 278, soit plus que les Etats-Unis (249), le Royaume-Uni (224) ou l'Allemagne (211). Pour la France, la culture fait partie intégrante de sa personnalité et elle est l'un des rares pays à pratiquer systématiquement et depuis longtemps une diplomatie culturelle : ses oeuvres classiques et modernes, ses metteurs en scène et ses artistes, ses musiciens et ses compositeurs, ses danseurs et ses chorégraphes, ses cinéastes et ses acteurs, ses peintres et ses sculpteurs, ses architectes et ses "designers", ses musées et institutions culturelles (comme l'Alliance Française, créée en 1883, ainsi que les centres et les instituts culturels), ses écrivains et ses poètes, ses professeurs et ses intellectuels, ses universités et ses écoles, ses chercheurs, ses savants et ses ingénieurs, ses stylistes de mode et ses festivals, - et même ses journalistes -, contribuent à une indéniable influence française dans le monde.Depuis quelques années, la France défend l'idée d' "exception culturelle". Il ne s'agit pas là d'une notion arrogante, qui signifierait que la France estime qu'elle est exceptionnelle ou supérieure. Non : cela veut dire tout simplement que les biens de l'esprit ne sont pas des marchandises comme les autres, que les règles du commerce ne peuvent pas leur être appliquées, qu'ils doivent donc faire l'objet d'un traitement exceptionnel. Les Etats-Unis au contraire, forts de leur écrasante supériorité en termes d'argent et d'images, de satellites de télévision, d'édition musicale, de production cinématographique, de technologies de la communication, souhaitent que les règles de la libéralisation intégrale s'appliquent aux films, aux livres et à la musique, comme aux produits agricoles et industriels; pour eux, le contenu intellectuel doit s'effacer devant l'instrument matériel. La réunion à Cancun (Mexique), en septembre prochain, de l'assemblée générale de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) dira si l'idée française a fait son chemin.La défense de l'exception culturelle se double de la défense de la diversité culturelle et de la volonté de promouvoir le dialogue des cultures. Comme l'a dit Jacques Chirac le 2 février aux rencontres internationales de la culture, "il y a des frontières que la mondialisation n'a pas le droit d'abolir. Ce sont celles qui nous permettent de passer d'une culture à une autre et nous apprennent que l'universalité de l'homme s'incarne dans le particulier." Car c'est évidemment ainsi que s'expriment et que s'harmonisent le mieux la soif d'identité, le respect de l'autre, l'impératif de la tolérance, la recherche de la solidarité et la volonté de paix.Au Mac Donald imposé à tous (même s'il a ses mérites), on peut préférer le charme des cuisines locales et des saveurs particulières. Menu à la carte plutôt que plat unique, mets amoureusement mijotés plutôt que restauration industrielle, s'il fallait comparer, voilà comment je vois la spécificité de la diplomatie française.

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