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Sénégal

Le Sénégal  est un des pays les plus stables d’Afrique subsaharienne. Il n’a connu que trois présidents, dont la succession sans heurts exprime cette stabilité : Leopold Sedar Senghor (1960-31 décembre 80), qui a pris volontairement sa retraite ( fait exceptionnel en Afrique) en nommant son dauphin, Abou Diouf, alors ministre de l’économie du Sénégal (président du 1er janvier 81 au 19 mars 2000). La première alternance politique a véritablement eu lieu lors des élections de mars 2000, à l’issue desquelles a été élu président Abdoulah Wade, leader du PDS, principal parti d’opposition au PSS crée en 1974, mouride, et âgé de 74 ans.

Avant les autres pays d’Afrique noire francophone,  le Sénégal a  entrepris la libéralisation de sa vie politique. Senghor avait institué en 76 un tripartisme officiel minutieusement dosé, « afin d’éviter les dangers d’une libéralisation sauvage » (PSS, PDS et XXX marxisme léninisme ). En 81, le président Diouf a généralisé le multipartisme (actuellement, le paysage politique sénégalais recense 12 grands partis, et des partis d’ampleur plus réduite), et a fait ses priorités politiques de l’organisation d’élections libres et de la marginalisation des ‘barons’ chers à Senghor (le ‘socialisme à l’africaine’ développé par Senghor plongeait ses racines dans une idéologie de l’encadrement qui préconisait l’abandon de toute distinction entre l’Etat et les détenteurs du pouvoir d’un coté, les masses de l’autre ; une structure pyramidale a été adoptée, dont la dessein était de faire descendre jusqu’à la plus petite unité d’organisation humaine l’intervention administrative, qui était le noyau d’un patronage totalisant, et de réseaux de clientélisme). Cette libéralisation a permis l’éclosion de la liberté d’expression (développement d’une presse d’opinion critique et de mouvements politiques et syndicaux) .

Sur le plan constitutionnel, le régime sénégalais est souvent présenté comme une exception à la norme africaine, ayant valeur de symbole : Dès février 70, la fonction de premier ministre est introduite dans la constitution, au moment où nombre de régimes évoluaient vers des régimes autoritaires, entièrement centrés autour de la figure présidentielle. En fait, il s’agissait d’une simple déconcentration du régime présidentiel, liée à la réforme de l’administration locale et territoriale menée par Senghor . Et la fonction de 1er ministre a été supprimée par la réforme du 1er mai 83, jusqu’à la loi constitutionnelle du 5 avril 91. (En 91 aussi, une modification du code électoral a limité le nombre de mandats présidentiels à deux mandats).

Enfin,  le Sénégal, longtemps monocaméral, a intégré un Sénat au sein de ses institutions : En janvier 99, un Sénat a été élu sous l’impulsion du président Diouf  et comporte 45 membres, tous membres du PSS, ce qui peut avoir un effet sur la vie politique actuelle .

Il est intéressant de relier ces réformes au contexte général difficile du Sénégal au début des années 90.

Le contexte économique et social d’abord, était marqué par le semi échec des politiques d’ajustement structurel rendues nécessaires par le déséquilibre croissant des finances publiques (lié entre autres raisons à la politique de subventionnement des produits alimentaires de base) et de la balance commerciale (du fait de la détérioration des termes de l’échange et d’exportations portant essentiellement sur les produits de l’agriculture et de la pêche, à faible valeur joutée nationale) . Menées à plusieurs reprises entre 1981 et 92, elles ont provoqué un profond malaise du monde rural.

Le problème des régions transfontalières mal définies ( dissolution de la Sénégambie en 89, violence des mouvements velléitaires de Casamance et différend avec la Guinée Bissau qui soutenait la cause de la Casamance) pèse sur la politique du pays, et peut contribuer à freiner l’essor du tourisme, qui est un secteur moteur de l’activité du pays .

Enfin une vie politique officielle en décalage par rapport aux mouvements à l’œuvre dans la société : la politique sénégalaise ne reconnaît pas les partis à base régionale, ethnique ou religieuse ; du fait de l’intégration par le président Diouf dans l’appareil d’Etat ou dans ses structures périphériques de figures religieuses (si Senghor privilégiait le rôle des partis et des syndicats dans l’organisation de la vie politique, Diouf à l’inverse a usé de collaboration avec les confréries musulmanes, dont le soutien lui a été indispensable pour l’emporter sur Wade en 88), la vie politique est alourdie de querelles internes aux confréries ; enfin, de nombreux réseaux associatifs, commerciaux ou éducatifs agissent, sans s’attaquer directement à l’Etat, en dehors de son cadre.

Ces réformes doivent aussi être appréhendées en relation avec la bipolarisation du jeu politique, effective depuis 81, entre le PSS et le PDS : Elles sont décrétées peu après les élections de 88, très contestés pour la violence des campagnes électorales et les résultats donnant la victoire au PSS ; et sont suivies de près par l’institution d’un modèle participatif grâce à la formation d’un gouvernement d’union nationale, le 8 avril 91, constitué notamment par 4 ministre appartenant au PDS, dont Wade, et un ministre appartenant au PIT (parti travailliste).

Les élections de mars 2000 reflètent la cristallisation opérée autour de cette bipolarisation.

Crée en 74, le PDS a été le principal bénéficiaire de la détérioration du contexte économique et social des années 90 au Sénégal, et porteur d’espoir par le « SOPI » (slogan exprimant la volonté de changement) qui est devenu le signe de ralliement de nombre de mécontents d’appartenances et de sensibilités politiques diverses, en réaction à la politique du PSS qui a mené, sous la pression des bailleurs de fonds internationaux et de la crise économique, une politique ultra-libérale et a limité progressivement la législation et les politiques de protection sociale et de soutien aux groupes démunis, ce qui a conduit à une exacerbation des inégalités.

Cependant le PDS, qui affirmait en 1974 , dans l’article 2 de ses statuts, vouloir « réaliser au Sénégal (…) une société démocratique et socialiste pleinement développée », a opté pour le libéralisme économique et politique (le PDS est aujourd’hui membre de l’internationale libérale).

Ces élections suscitent des divergences d’interprétations. Les médias africains mettent l’accent sur la maturité politique des deux candidats, et l’érigent en preuve que ‘ le pouvoir en Afrique peut changer par la voie des urnes’ . Les medias  internationaux relient entièrement la victoire de Wade et du PDS au « SOPI », ou volonté de changement des Sénégalais. Or la politique de ces deux grands partis a été étroitement mêlée pendant ‘les périodes de cohabitation’ (de 91 à 93, et), leurs programmes politiques respectifs tendent à se rapprocher, en relation notamment avec les contraintes de la mondialisation.

En conclusion, si les élections du 19 mars 2000 peuvent être perçues comme «un verrou psychotique qui a sauté comme un bouchon et permis de faire dégouliner dans un grand ouf de soulagement des énergies longtemps réprimées » comme l’écrivait juste après l’élection Vieux Savané dans le journal de Dakar « Sud quotidien », il faut bien remarquer , comme le fait ce journaliste, que « les attentes sont grandes et que les dirigeants de l’alternance ont l’obligation de se livrer à une lecture correcte de leur victoire », et que «  les futurs dirigeants n’ont pas le droit de décevoir . Le chômage est trop pesant. Les diplômes inutiles aussi …. Aujourd’hui la République est endroit d’exiger de ses enfants qu’ils apportent une réponse à la seule question qui doit tarauder leur esprit : que dois-je faire pour servir le pays , et non pour me servir ? »

On trouve dans cet article l’évocation des problèmes que doit nécessairement surmonter un pays pour réussir son développement : satisfaire les besoins des défavorisés ruraux et urbains dont le nombre croît, répondre aux attentes des diplômés en quête de débouchés, développement du sens de l’intérêt collectif indispensable à l’affirmation d’une jeune nation .

Aurélie TURC

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