Le 2 novembre à 23h05, un équipage de la brigade anti-criminalité (BAC) patrouille dans le 11e arrondissement de Paris. Au croisement de la rue Amelot et de la rue Saint-Sébastien, les policiers aperçoivent un commerçant tenir un individu par les vêtements et crier : « Au voleur ». L’homme aurait dérobé plusieurs bouteilles de champagne et un complice se serait déjà volatilisé avec trois autres bouteilles cachées sous ses vêtements. L’acolyte – et les bouteilles, sont effectivement retrouvés dans une voiture. Le larcin est de cinq bouteilles dérobées. Raison avancée par les deux hommes : l’envie de noyer leur chagrin dans les bulles de champagne.
Ahmed et Jimmy, 26 ans tous les deux, comparaissaient lundi dernier devant la 23e chambre de Paris pour « vol de bouteilles de champagne en réunion et avec violence » – en récidive pour tous les deux. Au moment des faits, les deux hommes sont déjà ivres. Après intervention de la police, l’un d’eux menace le commerçant : « A cause de toi, je vais retourner en prison ! Je vais te tuer, tu m’entends ? Je vais revenir et je vais brûler ton magasin. » Ahmed, le principal accusé, admet les faits et tente de couvrir son ami Jimmy qui, lui, nie en bloc. En semi-liberté pour défaut de permis en récidive, Jimmy risque en effet très gros. D’autant qu’il est convoqué le 12 janvier prochain devant le procureur de Créteil pour violences et menaces à l’égard de son entraîneur de football.
« Comment votre ami a-t-il fait pour voler cinq bouteilles de champagne tout seul ?, demande la présidente à Jimmy.
Il en a d’abord volé trois qu’il a amené jusqu’à la voiture, puis deux autres.
- Mais trois bouteilles de champagne, cela se voit sous un blouson, vous l’avez bien aidé ? Le commerçant dit qu’il vous a vu avec une bouteille dépassant de votre blouson…
Mais je n’avais même pas de blouson, s’emporte Jimmy. Relevez donc les empruntes digitales sur les bouteilles et vous verrez que je ne les ai pas touchés ! Regardez la vidéosurveillance du magasin, je ne sais pas moi… Je vous dis que je n’ai rien volé. J’avais 450€ en poche, je pouvais les acheter ces bouteilles. Moi, j’achetais du gel pour mes cheveux, c’est tout ».
Ahmed tente de couvrir son ami. C’est bien lui qui, ce soir-là, avait besoin de noyer sa morosité : « J’ai un enfant d’un an et demi à charge depuis que sa mère est décédée dans un accident de voiture. Le drame est tout récent, cela date d’il y a à peine dix jours ». Footballeur professionnel à l’AS Créteil, il dit ressentir un profond « mal-être depuis qu’il a perdu (sa) moitié » : « Tous les soirs, j’ai envie de boire. Je ne dis pas que cela me donne le droit de voler chez les commerçants, mais… »
La présidente regrette que, « dans ce dossier, aucun des dires des accusés n’aient pu être vérifiés », les deux hommes ayant refusé de révéler les coordonnées de leurs proches pour les besoins de l’enquête. D’où quelques sérieux points d’ombre que Madame la Procureure ne manque pas de souligner : « Vous dites que votre compagne est décédée il y a dix jours, or votre entraîneur, le seul que nous ayons pu contacter, déclare que cet accident date d’il y a deux ans ». Ahmed répond : « Il confond, il y a deux ans, j’ai effectivement perdu un autre proche ». Et la Procureure de s’interroger : « C’est curieux tout de même de vouloir noyer son chagrin en buvant du champagne. C’est plutôt festif et onéreux le champagne ».
Des casiers judiciaires fournis, des versions qui changent et se contredisent, des faits invérifiables contredits par le seul proche ayant pu être interrogé… La Procureure demande trois ans de prison dont deux avec sursis et mise à l’épreuve.
Le soir même, six mois fermes tombent avec mandat de dépôt pour les deux voleurs de champagne. Les faits ayant été commis en réunion, s’ils sont solidaires dans l’action, ils sont solidaires dans la peine – quel que soit le nombre de bouteilles volées par l’un ou l’autre.