A la Une de Bakchich.info
Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit
Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit

Violence conjugale mode lilloise

30 octobre 2008 à 19h46

À 14h10, Didier Specq, chroniqueur judiciaire pour le quotidien Nord Eclair, entame sa « partie de pêche » de la journée. En passant simplement la tête dans l’une des cinq chambres au pénal du Palais, il saisit quelques phrases à la volée.

7e chambre : violence commise en réunion suivie d’incapacité supérieure à huit jours. L’affaire date de 2005. Didier réagit : « Bof, c’est vieux. Viens, on va voir à côté ».

6e chambre : évasion. « Certainement d’un centre de semi-liberté », analyse le journaliste en écoutant brièvement les faits lus par le président de la cour : « Pas terrible, juge Didier. Allons voir les comparutions immédiates ».

5e chambre, la préférée de Didier, celle où se concentrent toutes les CI, les comparutions immédiates donc, où les prévenus comparaissent à l’issue de leur garde à vue pour être jugés le jour même. Des délits punis de 1 à 7 ans d’emprisonnement : « A croire que les comparutions immédiates ont été inventées pour les journalistes, sourit Didier. Cela va vite, tous les faits y sont exposés et le verdict tombe le soir même. En une après-midi, on a de quoi raconter trois à quatre histoires intéressantes qui reflètent au mieux notre société puisqu’on voit défiler tous les délits à la mode.

« 

- À la mode ?

- Oui, les délits sur lesquels on est plus particulièrement attentifs. À mes débuts, c’était l’époque des grands mouvements ouvriers et l’on était capable d’envoyer un petit patron au trou pour négligences. On ne les voit plus du tout ces gars-là aujourd’hui. Au milieu des années 90, c’étaient les stups avec la guerre déclarée à la drogue. Aujourd’hui, ce seraient plutôt la conduite en état d’ivresse ou les violences conjugales – on en voit énormément ».

Au « programme » de ce début d’après-midi justement, Adrien M., 24 ans, est poursuivi pour violences volontaires sur son ex-femme. Le prévenu a déjà six mois au-dessus de la tête en récidive. Son élocution est pâteuse, son débit lent, ses mots imprécis – signe d’un évident handicape physique ou mental. La ligne de défense de l’accusé est celle-ci : lui aussi recevait des claques de son ex-compagne, lui aussi était battu – ce qui ne semble attendrir personne. Didier porte l’index de sa main droite sur le bout de son nez : « Cette affaire-là, je la sens bien. On va rester un peu ».

Lecture du dossier par la Présidente. Le 13 octobre, vers 13h35, Adrien M. n’est toujours pas calmé au moment où il est confronté à sa victime juste après l’avoir frappé : « Si je sors, je la démolis, elle est morte ! », lance le gardé à vue devant les policiers.

Au moment des faits, la jeune femme effectuait des allers-retours amoureux entre le prévenu et un nouvel ami, plus âgé. Adrien en avait gros sur le cœur et l’amie est frappée sans trop de gravité. En revanche, un témoin voulant s’interposer prend un mauvais coup sur un doigt de la main droite, cassée. Dix jours d’interruption temporaire de travail. Le prévenu persiste et signe : « Et elle, quand elle me frappe, pourquoi on ne la poursuit pas ? C’est injuste ! Moi aussi j’ai reçu des claques !, s’énerve-t-il.

« 
-  Si je comprends bien, vous êtes toujours énervé ?, demande la présidente.
-  Peut-être, mais elle aussi. Elle aussi elle me tape ».

La présidente : « Mais si vous prenez une gifle de votre amie, vous lui en remettez forcément une après ?
- Ben oui, lâche-t-il, inconscient des conséquences de sa franchise.
- Et bien, on n’a pas fini de se revoir tous les deux », répond la présidente.

L’homme se met à sangloter : « C’est injuste, je ne demande pas mieux que de travailler. Je suis handicapé à 78 % et on ne veut pas me verser d’allocations car il faut être handicapé à 80 %. Et quand je déniche un poste, on ne me garde jamais, justement parce que je suis handicapé ».

Emotion dans la salle. Sentiment désagréable que le jeune homme n’est ici pas à sa place. Y compris du côté de l’accusation quand le procureur admet un « contexte difficile » avant de regretter que « le prévenu a trop rapidement recours à la violence ».

La défense plaide : « Regardez mon client ! Il est à la rue, rejeté de partout et la société refuse de lui fournir du travail ! Il dort sous une tente, qu’il prête d’ailleurs actuellement à la victime d’aujourd’hui. Alors oui, il a frappé et cassé la vitre d’une porte de HLM. Mais de l’autre côté, on exagère aussi. Quand la victime dit qu’elle a été frappée à coups de poings et traînée par terre, on sait pertinemment que c’est faux ». Et d’ajouter : « Mon client cumule les difficultés : en plus de son handicape physique, il n’a jamais connu son père… »

Didier me souffle alors à l’oreille : « A la place de l’avocate, je ne plaiderais pas le manque de père devant cette présidente. Elle-même élève un enfant seule, et le manque de père ne constitue en rien un argument ou une excuse à ses yeux ». A croire qu’avec son expérience du terrain, le journaliste pourrait se reconvertir en conseiller auprès de certains avocats.

Après délibérations, la présidente annonce un départ immédiat pour la prison de Sequedin. Huit mois dont cinq de sursis avec mise à l’épreuve. À l’énoncé du verdict, et malgré les explications douces et réitérées de la présidente sur le ton de l’institutrice, le prévenu ne comprend visiblement pas sa peine ni ses enjeux :

« Je ne vais pas en prison alors ?
-  Si, si, répond la présidente, vous partez dès ce soir pour trois mois de prison ferme, les cinq autres sont assortis de sursis.
-  Donc je sors ce soir.
-  Non, non. Le sursis est de cinq mois, mais l’intégralité de votre peine est de huit mois, dont trois fermes ».

Les yeux effarés de l’accusé indiquent clairement son incompréhension. Menotté, il est escorté vers la sortie. Un autre prend sa place. Didier me débriefe à l’oreille ce qui vient de se passer :

« C’est tout le drame de la comparution immédiate : cela va très vite, les gars comprennent à peine ce qui se passe et cela se termine souvent en prison. Le procureur n’avait pas demandé le mandat de dépôt et la juge l’envoie pourtant directement au trou. C’est la preuve qu’on ne sait pas trop quoi faire de ces gars-là. La victime d’aujourd’hui n’avait pas d’ITT, le prévenu semblait dire que les coups étaient à double sens, mais la juge avait peur pour la fille. Certes, ce gars est violent, c’est clair, mais tout le monde sent bien que la prison n’est pas franchement la solution ».

L’autre gang des postiches Rencontre avec le type qui écrit sur les procès