Didier Specq, je l’avais rencontré chez des amis, au cours d’un dîner. Basé à Lille, l’homme de 55 ans aux rouflaquettes grisonnantes est chroniqueur judiciaire pour le quotidien Nord Eclair depuis plus de dix-huit ans. Notre ami commun est avocat. De fait, nous avions beaucoup parlé d’eux, les avocats. Au moment d’attaquer l’apéro, Didier disait quelque chose du genre :
« Les avocats, je vis avec eux. On boit des coups ensemble, on se taquine, on s’aime bien. Ils m’invitent même chez eux à dîner ».
Lille, c’est tout de même 860 avocats au barreau, dont la moitié environ de femmes. Didier estime copiner travailler avec 10 % d’entre eux. Un joli carnet d’adresse.
« C’est plus qu’un carnet d’adresse, avait-il dit. On a peut-être besoin les uns des autres, mais il existe une réelle connivence entre nous, on se côtoie tous les jours… Ce sont des gens brillants pour la plupart.
La plupart… ?
Oui, ceux que je trouve nuls, je n’en parle pas – ça m’énerverait qu’un gars qui risque plusieurs années de taule aille voir un mauvais après avoir vu son nom dans mon journal ».
À cinq ans de la retraite, Didier, à mi-chemin physiquement entre Droopy et Sherlock Holmes, fait quasiment partie des murs du Palais de justice de Lille. Il connaît les lieux et ses gens par cœur, salut de leurs prénoms flics, avocats et magistrats, entre au Palais comme au bistrot du coin, détient même les clefs du premier étage où se niche son mini-bureau qu’il partage avec son confrère de la Voix du Nord. Didier rédige beaucoup : « Je dirais… environ 10 000 signes par jour. C’est une moyenne, cela dépend aussi de la pub … Trois à quatre papiers quotidiens et deux-trois brèves ».
Productif donc. Entre la salade d’endives et le Hochepot, la conversation en était revenue aux avocats. Le « bon » avocat au pénal, selon Didier, est réellement capable de se mettre à la place de son client : « Les bons sont tous issus de milieux modestes, comme leurs clients, disait-il. Ce sont des gars qui ont une revanche sociale à prendre. Ils n’ont pas peur et sont prêts à tout pour partir en guerre contre un système dont leurs parents ont souvent souffert. Les quinze plus grands pénalistes de Lille ont ce profil-là. Stefan Squillaci est fils de mineur. La mère de Franck Berton était ouvrière et permanente de la CGT. Et Dupond-Moretti est le fiston d’une femme de ménage ».
Dupond-Moretti. LA star de Lille. Inscrit au barreau en 1984, Eric Dupond-Moretti est connu pour être l’avocat pénaliste totalisant le plus grand nombre d’acquittements en France. Celui notamment de la « boulangère » Roselyne Godard, lors du premier procès d’Outreau, devant la cour d’appel de Douai en juillet 2004. Celui aussi de Jean Castela, présenté comme l’un des instigateurs de l’assassinat du préfet Claude Erignac et condamné de ce chef devant une première cour d’assises. Ou encore Jérôme Verrando, le « berger de Castellar », en avril 2007. Dans toutes les maisons d’arrêt de France, on ne jure que par Eric Dupond-Moretti. Et même si on entend dire sur Lille que l’avocat n’y comprend rien à rien aux finances, E. D-M. est l’un des avocats du très médiatique trader Jérôme Kerviel – dans cette affaire, on compterait simplement sur EDM pour l’ouvrir très grande, comme il sait si bien faire.
Et Didier d’enchaîner : « Quand Dupond-Moretti parle de la misère d’un de ses clients, tu sens que ce n’est pas du flanc, qu’il est passé par là, qu’il est convaincu. Cela donne du corps et de l’impact à sa plaidoirie. Alors oui, OK, il a des formules toutes faites. Combien de fois l’ai-je entendu dire : “Ma mère a commencé comme femme de ménage pour finir comme technicienne de surface”. Mais c’est vrai !
Et ses effets de manches n’agacent pas trop la cour ?
Faut pas croire, les magistrats aussi s’ennuient en procès. On attend tous de voir un Moretti faire son show, provoquer, râler, enchaîner les accidents d’audience… On se régale et les magistrats sont sous le charme. Tu devrais appeler son bureau à Lille pour savoir s’il plaide bientôt à Paris…
A t’écouter, on croirait une rock star…
Dans son genre, c’est un peu ça… Les petits jeunes l’imitent, reprennent les expressions et les trucs du maître. On en a d’autres. Franck Berton. Au procès d’Outreau, il défendait Odile Marécaux, l’épouse de l’huissier de Justice – et Franck Lavier, tous deux innocentés. Quand tu vois Berton, jamais tu ne lui achèterais une voiture d’occasion. Il a les cheveux gras, la peau creusée par l’acné. Mais ces mecs-là aiment emmerder le monde. C’est pour ça qu’ils sont bons ».
Au moment de nous quitter, j’avais déjà élu Didier nouveau gourou. Rendez-vous était pris quelques jours plus tard à 14 heures, devant le Palais de Justice de Lille.