Palais de Justice de Paris, 23e chambre. Une foule nombreuse patiente à l’extérieur. Dans la file d’attente, Yvette, retraitée habituée du Palais, patiente. Blonde platine, brushing aérien, faux airs de Tatie Danielle, Yvette se déplace ici pour la présidente, Madame Bavelier : « J’adore sa façon de mener les débats, se pâme Yvette, admirative. Elle est très claire, très concise, sévère et douce à la fois. J’essaye de venir à chaque fois qu’elle préside ».
14h05. La salle est blindée. Le défilé des prévenus commence par Sandrine P., 39 ans, qui comparaît libre et s’avance à la barre d’une démarche fatiguée. Longs cheveux bleus électriques emmêlés dans un bandeau orange tout à fait inutile, petite tête de rat pâle flanquée de piercings, Sandrine est sans profession, sans domicile fixe, en curatelle renforcée depuis le début de l’année. Malgré son accoutrement, on lui donnerait facilement la soixantaine. Attaquée par la bibine, la piquouze ou simplement par les malheurs de la vie, Sandrine plane, c’est un euphémisme. C’est tout juste si elle reconnaît sa tutrice. Tant de provocation dans son accoutrement, tant de fragilité dans son attitude, la femme à la tignasse bleue intrigue la 23e chambre. On imagine son délit… Consommation d’héroïne avec recel ou peut-être ivresse sur la voie publique.
Raté. Sandrine, chômeuse et SDF, comparaît pour « vol dans un Monoprix ». En récidive. Vol de yaourt ? De teinture pour ses cheveux ? De poisson, de charcuterie ou de viande, pour améliorer l’ordinaire ? « Dura lex, sed lex » (la loi est dure, mais c’est la loi) entendait-on il y a dix ans à peine, quand deux mères de famille, l’une à Poitiers, l’autre dans la région de Lyon, s’étaient retrouvées devant le tribunal pour avoir volé au supermarché viande et jouets pour leurs enfants.
On ne connaîtra malheureusement pas l’objet du terrible larcin de Sandrine. La présidente constate le dossier incomplet auquel manque le rapport du médecin psychiatre. L’affaire est renvoyée au 10 décembre devant la même chambre. Ce jour-là, Sandrine et ses crins bleus n’auront fait qu’une courte apparition. Mais quelle présence. En ressortant, je recroise le thermobrossage platine d’Yvette qui siffle : « Vous avez vu sa coupe de cheveux ? »