Comparutions immédiates du 18.12, chambre 23-2 du Palais de Justice de Paris.
En s’attaquant au sixième dossier de cet après-midi de comparutions immédiates, la Présidente Christine Servella-Huertas laisse l’un de ses assesseurs mener les débats – ce qui n’est pas son habitude. Cet assesseur n’est autre que le juge Eric Halphen, qui a repris sa fonction de juge en janvier 2007 après cinq années de mise en disponibilité de la magistrature pour se destiner à une carrière littéraire et politique – une bien longue parenthèse. L’homme qui a fait trembler la République dans les années 90 avec l’affaire des HLM de Paris réintègre ses fonctions à un poste clairement moins sensible. Ici, une simple affaire de vol de sac à main. Mais, Chanel.
Col roulé noir, cheveux longs, blonds dorés, tirés en arrière pour dessiner une impeccable queue-de-cheval, Svetlana, 25 ans, a tous les canons de la jeune beauté russe. Avant le début des audiences, les deux gendarmes responsables du bon fonctionnement de la 23-2 palabrent à son propos : « Elle est jolie, mais elle pourrait sourire un peu », dit l’un. « Comment veux-tu qu’elle soit souriante ? Elle ne parle pas un mot de français, elle vient de passer 24 heures en garde-à-vue et toute une matinée dans les cachots frigorifiés du Palais ».
Svetlana est accusée de vol en bande organisée dans la maison Chanel, rue Cambon à Paris. Dans un sac tapissé d’aluminium supposé empêcher les bornes antivols de se déclencher, trois pulls et un sac d’une valeur totale de 6350 euros ont été dérobés par la prévenue et son petit ami, un certain Sergueï. Le gardien s’en aperçoit et entame une course-poursuite dans les rues du quartier. Sergueï s’échappe. Pas Svetlana, qui comparaît seule.
Souriant, le juge Eric Halphen pose ses questions à la vitesse mitraillette – à croire que l’homme n’a pas perdu ses talents de juge d’instruction :
« Elle reconnaît les faits ?, demande Halphen.
Oui, traduit l’interprète.
Elle est arrivée en France le 15 décembre 2008, c’est bien ça ?
Oui.
Et pourtant elle dit avoir rencontré Sergueï à Paris, il y a six mois…
Oui.
Mais c’est très contradictoire. Comment a-t-elle pu le rencontrer à Paris il y a six mois alors ?
Mademoiselle dit avoir fait cette année plusieurs allers-retours entre Paris et Moscou.
Et pour quelles raisons vient-elle en France ?
Pour le tourisme.
Avec quel argent ?
Des économies qu’elle a à la maison.
Economies qui viennent d’où ?
De sa famille.
Ses parents font quoi ? »
L’interprète peine à tenir le rythme de l’assesseur. D’un signe de la main, elle demande au juge de tempérer la cadence de ses questions. La voix fluette de Svetlana se fait entendre. La traductrice déchiffre : « Ses deux parents travaillent dans le chemin de fer. Ils conduisent des trains.
Mademoiselle travaille-t-elle ?
Non, elle est étudiante.
Etudiante en quoi ?
En chemin de fer.
Et cela consiste en quoi ?
Elle dit qu’elle veut devenir ingénieure.
Elle avait 416 euros sur elle quand elle a été arrêtée. D’où vient cet argent ?
De ses économies en Russie.
Elle est étudiante, elle ne travaille pas, ses parents sont cheminots et elle vient régulièrement sur Paris faire du tourisme – comment fait-elle pour se payer les billets d’avion ?
Elle dit que les compagnies aériennes offrent des conditions tarifaires intéressantes aux étudiants », traduit l’interprète.
Eric Halphen se tourne vers la Présidente, les deux juges s’échangent une moue dubitative. Petite pause. Halphen reprend : « Le pull Lacoste qu’elle porte aujourd’hui, il vient d’où ?
Elle l’a acheté à Moscou.
Ça coûte combien un pull comme celui-là à Moscou ?, demande l’assesseur.
Trois mille roubles.
Et Sergueï, il est où ?
Elle ne sait pas.
Il habite où ?
Elle ne sait pas.
Et quand Mademoiselle vient à Paris, elle dort où ?
Chez Sergueï.
Donc elle sait où il habite !
Elle ne se souvient plus. »
Le verdict. Svetlana est jugée coupable des faits qui lui sont reprochés. Elle écope d’un mois d’emprisonnement ferme, sans mandat de dépôt : « Qu’elle en profite pour repartir dans son pays très vite, explique la Présidente à l’interprète. Si elle revient en France et qu’elle s’amuse à refaire ce qui l’a conduit ici, elle fera son mois de prison. Dites-lui que les jeans Cerruti, les pulls Lacoste et les sacs Chanel, c’est fini. Et qu’elle ne s’amuse pas à revenir en France sous une autre identité, les empreintes digitales font des miracles ».