Comparutions immédiates du 12 janvier 2009, 23e chambre de Paris.
Interpellé à la suite de la manifestation pro-palestinienne du 10 janvier dernier, Abdoul, 28 ans, est accusé de violences et outrages sur personnes dépositaires de l’autorité publique. Ce jeune homme d’origine marocaine aurait jeté divers projectiles (des blocs de glace et des piquets en bois) et adressé plusieurs doigts d’honneur aux policiers. « Je reconnais avoir jeté des boules-de-neige, mais je nie leur avoir lancé des bouts de bois, ce n’était pas moi », lance le prévenu.
Partie civile, les deux policiers présents à l’audience racontent leur version des faits : « Nous étions à l’angle de la place de la Nation et de l’avenue du Trône. Parmi un groupe d’une centaine de jeunes, le prévenu ressortait clairement du lot. De type maghrébin, bas blanc, haut noir, il était devant le groupe, au plus près de nous. Il nous a lancé de la glace, puis il a reculé pour se fondre dans la foule avant de revenir avec des piquets verts – ces bouts de bois qui servent de tuteurs aux arbres. C’était le même individu et nous avons reçu l’ordre de l’interpeller ». Le deuxième policier corrobore les dires du premier : « C’étaient bien des blocs de glaces. Pendant la charge, j’ai même glissé dessus, c’était dangereux ».
Domicilié à Saint-Etienne-du-Rouvray en Haute-Normandie, Abdoul est papa d’un jeune garçon de dix ans. L’enquête sociale brosse le portrait d’un prévenu calme et inséré. Un casier judiciaire vide, un Deug d’économie en poche, un CDI depuis juin 2006, Abdoul s’investit dans diverses associations de quartier à Rouen. Vendeur en téléphonie mobile pour Orange, à l’entendre, c’est pour des raisons professionnelles qu’il se trouvait ce week-end-là à Paris : « Ma société m’a proposé un boulot chez Darty, j’avais un entretien le vendredi et j’en ai profité pour rester le week-end chez ma tante, faire les soldes et traîner un peu ».
Abdoul revient sur la journée du 10. Dans le quartier de Châtelet pour son shopping, il y boit trois bières avant de se diriger à pied vers Nation où il consomme trois autres bières : « J’étais calme, mais j’avais bien bu, explique-t-il. C’est là que j’ai été attiré par la manifestation, par simple curiosité. J’ai rejoint un groupe et, par bêtise, j’ai imité des manifestants qui lançaient des boules-de-neige. J’avais un coup dans le nez, j’ai été pris par l’effet de foule, mais jamais je ne leur ai lancé de bâtons ».
Il l’admet, « à cause de l’alcool », il a peut-être eu des gestes déplacés : « J’ai moi-même été frappé par un des manifestants, comme ça, gratuitement, ce qui m’a énervé. Et c’est vrai, j’en veux aux forces de l’ordre. Mon frère est mort en 96 dans un accident de moto, percuté par un véhicule de Police. D’où ces boules-de-neige et, peut-être, ces doigts d’honneur. Mais les bâtons, ce n’est pas moi ! »
La Présidente creuse les raisons de la présence du prévenu à cette manifestation : « Vous avez reçu des textos concernant cette manifestation, indique-t-elle. La police a fouillé votre portable et a trouvé un SMS en date du 5 janvier qui évoque la manifestation du 10. Ce SMS s’adresse “aux frères et sœurs musulmans” et parle “d’Allah le puissant”. Vous n’étiez donc pas là par hasard, dites-le ». Abdel l’assure, il n’était pas au courant : « Le texto dont vous parlez, je ne l’ai jamais vu ! J’ai deux cartes SIM, une perso et une pro. Or le collègue qui m’a envoyé ce SMS l’a fait sur mon portable professionnel… Vous savez Madame la Présidente, j’ai beaucoup d’amis palestiniens ET israéliens et je n’ai aucune idée arrêtée sur ce conflit ».
Les violences n’ayant entraîné aucun jour d’ITT, la défense demande 500€ pour chacun des policiers au titre de leur « souffrance morale ». La procureure requiert quant à elle dix mois de prison dont quatre avec sursis et mandat de dépôt.
L’avocate de la défense manque de s’étrangler : « C’est un procès d’intention que l’on fait à mon client ! Qu’il soit venu à cette manifestation par hasard ou par conviction, qu’est-ce que cela change ? Nous avons à le juger pour des violences commises envers deux policiers. Or un détail me trouble terriblement. Vous le voyez comme moi, mon client est habillé en chaussures de ville, pantalon à pinces noir et manteau noir. Depuis les faits, il est en garde-à-vue et n’est clairement pas rentré chez lui se changer. Or ces deux policiers décrivent l’auteur des faits avec un pantalon blanc et un haut noir… Il y a là un vrai problème. Mon client est prêt à payer pour ses fautes, mais je demande à ce qu’on lui accorde le bénéfice du doute ».
Résultat des délibérés. Abdoul est reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés. Il écope de quatre mois avec sursis et devra payer 200€ à chacun des policiers au titre du préjudice moral.