Comparution immédiate du 16 décembre, 23e chambre de Paris
Malgré son évidente fatigue, Rodolphe, 28 ans, célibataire et sans enfant, porte beau. Calme, posé, ce magasinier et cariste par intérim comparaît pour « agression sexuelle, outrage et rébellion ». « Vous êtes des pédés, je vais vous niquer, bande de fils de putes », aurait-il dit en substance aux trois policiers, partie civile dans ce dossier.
Le 13 décembre, une patrouille de police est appelée pour un différent entre un individu et un fonctionnaire de police en civil, dans un bar du quartier de Barbès, l’« Abracadabra ». Cet « homme de type africain », Rodolphe donc, aurait dans ce bar bousculé une jeune femme en lui « touchant la poitrine ». Le policier en civil intervient en faveur de la victime. Échanges de noms d’oiseaux, puis Rodolphe quitte les lieux. Le policier en civil appelle du renfort. La patrouille part en quête du prévenu. On le retrouve un peu plus loin titubant dans la rue. C’est la garde-à-vue.
Julie, la jeune femme touchée aux seins, porte plainte et raconte sa version des faits aux policiers : « J’étais dans ce bar avec des amis. On venait d’assister à un concert, l’ambiance était bonne et ce gars-là a commencé à me tourner autour. Il m’a dit qu’il n’avait pas envie de dormir tout seul et il s’est montré agressif. Il a caressé les cheveux d’une amie, puis les miens. Je l’ai repoussé. Et c’est là qu’il a touché mes seins, deux fois. C’était ciblé sur les seins, il l’a fait exprès ». La plaignante demande 500€ au titre du préjudice moral.
À l’audience, Rodolphe reconnaît une partie des faits : « Franchement, cela ne me ressemble pas de faire un truc pareil. Je suis plutôt du genre réservé et timide avec les filles. En même temps, je me dis qu’une jeune femme ne porte pas plainte pour rien, mais c’est du raisonnement. Si vraiment j’ai fait ça, je suis prêt à faire des excuses ». Interrogé par la police, un premier témoin présent ce soir-là confirme les dires de Julie : « Oui, il l’a touché au niveau de la poitrine ». Un second soutient que le prévenu a « simplement repoussé » la jeune femme : « Son geste, c’était plutôt un “Va-t-en” qu’un “Je te touche les seins” ».
C’est en garde-à-vue que les choses se corsent pour Rodolphe. Avec 1,6g d’alcool dans le sang au moment de son arrestation, Rodolphe n’est clairement pas dans son état normal. La fouille au corps a chez lui un « véritable effet déclencheur ». La présidente demande au prévenu s’il se souvient de ce qui s’est passé en garde-à-vue : « Je me rappelle de la salle de dégrisement et du fait que je n’avais plus mon pantalon, ni mes chaussures. Je me souviens avoir protesté quand ils ont voulu me fouiller au corps. On m’avait dit que l’on pouvait s’y opposer, je suis pudique et je ne l’ai pas supporté ».
En fait de « protestations », Rodolphe insulte les policiers à maintes reprises. Les trois agents concernés demandent chacun 600 euros de dommages et intérêts « parce qu’ils en ont pris pour leur grade », avance leur avocate. Rodolphe dit s’être expliqué : « Le lendemain, j’ai eu la chance de recroiser ces mêmes policiers et je me suis platement excusé pour ma conduite de la veille. Ils m’ont d’ailleurs dit qu’ils ne me reconnaissaient pas – c’est vrai, apparemment, j’avais dépassé les bornes ». La Présidente acquiesce : « Oui, l’alcool s’était dissipé ».
Avec onze mentions au casier depuis 2002, Rodolphe se tient à carreau depuis mai 2005, date de son dernier délit, un port d’arme prohibé. L’expertise psychiatrique va plutôt dans le sens du prévenu : « Monsieur X lie contact sans difficulté, son discours est adapté, calme, il est coopérant et ne subit pas de changements d’humeur…, lit la Présidente. Le rapport dit que vous n’êtes pas psychopathe, ce qui est une bonne nouvelle pour vous », conclue-t-elle en fermant son dossier.
L’avocat de la défense revient sur le taux d’alcoolémie « proprement ahurissant » de son client ce soir-là : « Au premier relevé, il est à 1,6g – en fin de soirée, on est à 2,5. C’est énorme ! On est proche du coma éthylique. Ce n’est pas une circonstance atténuante, mais c’est une explication. Tout son entourage en convient, l’expertise aussi, mon client est un homme posé, calme. Ce soir-là, il n’était pas maître de ses actes : condamne-t-on quelqu’un en état de semi démence de la même façon qu’un homme en totale possession de ses moyens ? Pour les faits d’agression sexuelle, je demande la relaxe. Pour l’outrage et la rébellion, c’est clair qu’un cocktail détonant – l’alcool et le refus de se soumettre à la fouille au corps – a joué en défaveur de mon client. Il s’en est déjà excusé auprès des policiers. Je demande un Travail d’Intérêt Général ».
Résultats des délibérés. Le tribunal relaxe le prévenu pour « absence d’éléments intentionnels » concernant l’agression sexuelle : Julie X est déboutée de sa demande. Pour les faits de « rébellion et outrage », trois mois avec sursis tombent. Un TIG de 80 heures sur 18 mois est prononcé. Rodolphe devra en plus verser 100 euros à chacun des policiers au titre du préjudice moral.