Je continuai à voir le psychiatre de la Maison-Blanche mais cette fois dans un bureau d’un dispensaire aux murs lépreux de mon quartier. Celui-ci prit pour la première fois un air très avenant pour me dire que j’allais arrêter tous les médicaments (excepté le régulateur d’humeur). J’étais content, me croyais guéri, pensais retrouver la vitalité et une activité professionnelle plus soutenue. Souvent on m’avait dit qu’on avait l’impression de m’entendre avec une cuillère dans la bouche quand je parlais.
Il me disait que j’allais mieux, que je pouvais arrêter, qu’il était important que je retrouve une certaine tonicité et qu’il était maintenant superflu que je continue de le consulter, préférable d’aller retrouver mon psychiatre de ville.
Je me suis souvent demandé avec quels critères, il fondait ses décisions. Ses séances ne duraient pas plus de dix minutes. Ses questions étaient rares et assez superficielles. Il semblait se satisfaire d’impressions. Je me souviens qu’à l’hôpital, j’étais sidéré quand il me considérait encore malade alors que je lui disais que j’allais bien.
Je lui avais demandé :
– Sur quoi vous basez-vous pour établir un tel diagnostic ?
Il m’avait répondu :
– Sur l’observation des infirmières.
Je réalisai à quel point c’était bidon. Les infirmières, elles étaient deux pour soixante-dix patients. Elles ne géraient que l’urgence et ne manifestaient aucune présence perceptive auprès des malades. Non, au pire il aurait pu s’intéresser à mes dérives nocturnes en banlieue où j’aurais pu me mettre en danger mais où j’étais entre parenthèses en parfaite sécurité (pas d’agressions, pas de vols, pas de mauvaises rencontres… seulement de la marche à pied !). Non, ce qui le contrariait c’était que je sois tombé amoureux du Chanteur, puis du Joueur, ce qui aurait pu être interprété comme un phantasme de midinette ou un nouveau syndrome de l’époque dominé par l’importance du people mais cela ne valait pas un an d’internement ! Qui plus est, il savait que je faisais une psychanalyse et que c’était parfaitement le lieu pour poser les questions et vivre avec ou sans des élans amoureux à qui ildonnait, lui, une dimension psychiatrique.
Il était pourtant doux, voire un peu féminin. Son nom oriental m’avait séduit.
Il était inflexible pour s’acharner à détruire ma force de désir à partir du moment où je devais réaliser que celui-ci n’était pas partagé. Cela ressemblait à de l’abus de pouvoir. J’avais tout de même le Chanteur au téléphone et la séduction n’était pas absente de nos conversations. Il aurait fallu que le Joueur demande audience auprès du monsieur pour lui confirmer que je n’aimais pas dans le vide. Mais notre relation devait pour l’heure rester secrète.
Quand bien même, je me faisais un film, cela valait-il enfermement, bourrage de médicament, confinement et harcèlement du meilleur copain d’Adel, « l’agent-double » qui m’avait pris en main pour me proposer de partir à l’étranger avec des combattants islamistes et me délester au passage de 30 000 euros sur ma carte bancaire professionnelle qu’il eut le culot d’utiliser pendant mon hospitalisation à la Maison Blanche ? Il l’a fait selon une procédure que j’aimerais bien connaître car le personnel infirmier m’avait assuré que cette carte était en sécurité dans un coffre du Trésor Public du XXe arrondissement de Paris.
Je réalise aujourd’hui qu’il était bien étrange ce médecin. Mon psychiatre de ville me confirma aisément que j’aurais pu éviter l’hospitalisation. Lui, je le répète, cela ne le surprend pas, ni le dérange qu’une force magnétique s’acharne à me convaincre que je suis le ballon du Joueur, que celui-ci est appelé à me retrouver. « Je ne vous conseille pas de vous fâcher avec le Joueur, avec cet univers, vos céphalées risqueraient d’être insupportables » m’avertit-il. Je déduis que la force magnétique est le langage du Joueur. Il ne dit pas non. Il me demande simplement de ne pas y penser tout le temps. Je ne tiendrai pas le coup longtemps dans le rôle de l’amoureux transi. Facile à dire…
Ecrivez ! Ecrivez pour avoir des lecteurs. Considérez que vous avez de la chance et que c’est l’occasion pour vous de formuler des idéaux, des idées de bien être à votre manière, enfantine, cela ne peut faire que du bien. C’est vrai mais cette année d’HP, je la digère comme une peine de prison à laquelle je me suis soumis mais dont je me rends compte de l’illégitimité. Le gâchis !