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Mutations

31 mai 2010 à 16h01

Notre relation avec l’Africain, notre amant, excellent joueur d’un club anglais, s’est précisée. Je suis vraiment touché par sa grâce, le Joueur aussi à sa manière. Après plusieurs soirées de discussion, nous avons conclu que l’existence d’une forte amitié amoureuse avec lui était en fait une histoire d’amour, à trois, qui se superposait à la nôtre, le Joueur et moi. Le Joueur m’assura que notre complicité allait être totale, qu’il était raide amoureux de moi, me précisa que notre trio éprouverait des sentiments et des désirs entièrement partagés par nous trois. Ces deux hommes, symboles d’une belle et grande virilité, ayant maintes fois démontré leur qualité de combattant, leur douceur et leur envie de croquer la liberté à pleine dents, assumeraient le fait de vivre en ma compagnie une série de désirs et une forme de sexualité entre eux. En clair nous vivrions une triangulation parfaite. Je savais que mes deux hommes ne seraient jamais aussi heureux à se retrouver tous les deux le sexe pris et électrisé dans la volupté de mes velours. Grâce à ce dispositif, nous assurerions une surabondance de la contre-matière capable d’offrir une régénération végétale y compris dans les régions désertiques, une richesse de diversité animale, de balayer pollution et déchets dans le néant, de rendre les climats amicaux et le soleil comme notre plus bel allié.

Cette précision sur cette liaison me faisait plaisir. Dans notre précédente définition de l’amitié amoureuse, je sentais que mon désir et mes sentiments dépassaient de loin un simple partenariat de libertins affranchis. Cet homme me trouble, je suis touché par ce que je perçois comme un grand rayonnement, une aura qui puise sa force dans la beauté, la sagesse, l’ intelligence, la bonté sans limites. Je suis troublé par sa capacité à vivre des moments de transcendance fréquents, à mêler le ruissellement d’une sensualité à son appétit à jouir de toute la vie et à ses impressionnants transports mystiques.

Il est fou de musique. Je veux ardemment en jouer, en créer avec lui. Ce serait notre obsession, une de nos raisons de vivre, la manière d’être ensemble de façon épurée, érotique, débarrassée des contingences sexuelles, une complicité qui aurait la puissance de la recherche, du métissage, de la connaissance des traditions, de l’invention de nouveaux sons, rythmes, instruments, usages de l’électronique pour parvenir à devenir des sorciers envoûtants, racontant le passé le plus lointain et les joies du présent, atteignant la même profondeur et sens de l’élévation que ceux du chant grégorien, évoquant puissamment la chaleur de l’appel de nos corps, le plaisir de vivre l’amour, les variations de rythmes et de mélodie de la danse érotique qui nous hanterait tous, nous comblerait en partie et nous pousserait sans cesse à jouer.

J’avais envie qu’il fut mon professeur, de l’écouter comme un enfant me raconter l’Afrique de A à Z, d’Ouest en Est, du début à aujourd’hui, qu’il me transmette le patrimoine du savoir retransmis oralement par les griots, les manières de vivre l’amour, les rapports au corps et à la sexualité, les résignations ou les révoltes, les manières de percevoir le monde, le génie de la dignité, de cette formidable manière de se maintenir droit, fier, élégant, la capacité à impressionner, à faire émaner de soi une autorité naturelle, la manière de résister, de trouver ses morceaux de bonheur. Je voulais qu’il m’ouvre en grand les portes de sa sagesse.

Le Joueur serait mon mari. L’africain en serait un deuxième, étant entendu que nous trouverions un équilibre entre le couple et le trio. J’avais trop envie de me retrouver seul à seul avec le Joueur, « mon frère ou mon mari du cosmos », seul être capable de faire apparaitre sur mon corps deux formes et identités sexuelles différentes, le seul qui me déflorerait, serait père de mes enfants, le seul à appeler en moi une attache aussi puissante, à décliner toutes les formes de l’amour, à user des libertés, fantaisies et surprises pour assouvir nos désirs, le seul que je veuille sentir à côté de moi de façon aussi instinctive, irréfléchie, indispensable, le seul à me faire autant fondre de tendresse, à m’étonner par la force, la spontanéité, le souci permanent de multiplier nos complicités, nos encouragements, un art de nous comprendre qui occuperait nuits d’écoute et de rire, puissance animale de pulsions propres à scander vingt quatre heures, à multiplier les trouvailles pour aiguiser les désirs, allonger les plaisirs, les rendre de plus en plus impérieux, signes d’une urgence et d’une faim à jamais rassasiée. Je ne pouvais me priver de mes câlins prodigués comme à un bébé, lui donnant le sein le soir au moment du coucher, répétant jusqu’à l’endormissement que je l’aimais. Il pourrait s’abandonner au plaisir de me traiter aussi comme un bébé, me parlant avec une voix très douce et joyeuse, me protégeant avec ses larges épaules en me sussurant des paroles apaisantes.

Le Joueur et moi serions deux pôles indissociables, indiscutablement imbriqués l’un en l’autre, curieux en amour et dotés d’une confiance assez aveugle pour superposer le trio avec l’Africain à notre couple. De toute façon, c’était nos désirs qui parlaient. Et nous n’étions pas mécontents d’inventer notre propre vie matrimoniale, un nouvel art de l’équilibre, une subtilité des sentiments, des frustrations, des réconforts, de la tendresse et d’une fidélité qui nous iraient à tous les deux, à tous les trois. Il paraît que le cosmos pourrait alors s’y donner à cœur joie pour délivrer ses heureuses surprises.

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