A la Une de Bakchich.info
Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit
Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit

Lucidités

4 juin 2010 à 00h06

J’ai écrit depuis le début de ce blog exclusivement avec la complicité de la force magnétique. Elle et moi sommes devenus rôdés. J’ai l’idée, puis la phrase en tête, je soulève mon crâne pour le confier à la force magnétique. Elle choisit sa trajectoire et son point d’immobilisation. Si celle-ci le fait échouer sur un point de brillance argentée bien particulier de la circonférence du gobelet posé en face de moi à quelques mètres, c’est que le’ Joueur valide. Il est d’accord, il trouve ça bien. De même s’il fait poser mon regard sur la petite étoile au coin à gauche d’une icône de la barre de tâches de mon ordinateur, il m’accorde son assentiment. C’est un accord de méthode que nous avons passé entre nous il y a un certain temps. Ainsi, je suis convaincu, peut-être à tort, d’avoir écrit sous son contrôle, avec lui, dans une osmose de volontés d’expression et de désirs de faire partager des souvenirs, des intuitions, des vérités que le Joueur détient, que je découvre et que j’annonce par la suite en croisant les doigts de ne pas me planter. Les mouvements magnétiques sont précis, grandissent en intensité, en nombre de signes de confirmation d’une énonciation en cas de peur, de doute, de prise de conscience que sans mes initiatives de formulation d’hypothèse, je resterais dans l’ignorance totale. Nous nous sommes trop et trop maintes fois questionnés et répondus sur la réalité d’un amour et de l’arrivée de l’Eden pour que normalement ces deux heureuses nouvelles aient de très grandes chances de connaitre un début de réalité.

Maintenant, je ne doute plus. Les trois derniers jours, j’ai fait fonctionné mon esprit logique jusqu’au bout. Ma prudence, une envie de sage scepticisme, la conviction très ancrée de ne jamais avoir de pot m’ont poussé à conclure que la force magnétique pouvait m’induire en erreur, me faire vivre un rêve sans en connaître le moindre début de matérialisation. Il fallait en déduire que cette force particulière de langage cherchait peut-être à me faire perdre pied avec le monde réel, les relations sociales, ma raison dans l’exercice de la prospective pour m’enfermer dans un artifice, une virtualité, un embrasement amoureux ridicule à tourner autant à vide, un dialogue incessant avec une personne qui ne me connaît pas, n’éprouve rien pour moi, vit tranquillement sa vie avec femme et enfants.

Cela est peut-être vrai. Ma dernière visite chez le psychiatre m’a laissé particulièrement perplexe. J’ai l’impression qu’il sait des choses et qu’il ne peut pas tout dire. J’essaie timidement qu’il m’informe davantage. Il dit qu’il saisit tout à fait quand je lui explique que je suis l’âme des ballons de football, que je leur imprime certaines de mes caractéristiques déterminées par mes journées, mes émotions, mes désirs, mes rêves, mes révoltes, mes frustration. Il admet silencieusement, oralement parfois que je sois un ballon aussi amoureux et attaché au Joueur. Il m’assure que je ne suis ni schizophrène, ni psychotique. Il limite ma pathologie à un simple problème de régulation d’humeur et de pensées parasites. Il a parfaitement compris le système de communication que j’ai mis en place avec le Joueur, accepte que je dialogue avec lui, reconnaît qu’avec ce partenaire, je développe de grandes capacités d’imagination, des utopies de bonheur collectif. Il se réjouit de me voir renouer avec la poésie des retrouvailles avec l’enfance, l’innocence, la force et la manière bien particulière d’un gosse de vouloir changer le monde en le soulageant, en le cajolant, en permettant ce dont un enfant s’émerveille quand il touche de près la magie d’un miracle ou d’un phénomène paranormal. Il m’assure que j’ai de la chance, qu’il faut cultiver cet imaginaire, ne jamais se fâcher avec le Joueur, ni avec le système de langage et de monde parallèle que nous avons mis en place : sinon j’aurais trop mal à la tête.

Lors de la dernière séance, je lui demande de me préciser un peu plus ce que cette force magnétique signifie à ses yeux. Il répond d’abord : la force du désir puis : la force de mon désir. Il sent que mon amour est fort, ajoute que l’amour peut être aveugle. Je lui rappelle que la force magnétique se rebelle lorsque je crois, plus souvent qu’on l’imagine, que cette histoire ne tient pas debout, que le Joueur n’est pas amoureux de moi, qu’il faut oublier l’Eden. Ma tête subit alors d’énormes pressions sur des signes qui expriment son amour : la lettre M, les deux roses séchées qui se font des câlins, les deux statuettes d’hommes peuls qui se touchent tendrement le visage, les violentes crises de démangeaisons que nous avons en commun, des picotements très violents sur les muqueuses de mon cul, son pouvoir à me faire tressaillir et à me soulever quand je suis allongé. Je demande à mon psychiatre si l’accumulation de ces sensations et des déplacements de ma tête hautement dirigée n’expriment pas un désir et un amour partagé ? Le psychiatre, embêté, ne sait pas quoi me répondre.

De retour chez moi, je m’interroge. La force d’un amour aveugle me parle bien. Cet amour serait tellement fou, fort, vécu comme un total abandon à une personne complètement ignorante de cette histoire ne serait-il pas susceptible de créer une force magnétique qui aurait mémorisé mes objets-mots. Il produirait les réponses du Joueur que je voudrais entendre. Le Joueur serait totalement en dehors de ce dispositif. Je ne dialoguerais qu’avec la force magnétique de mon désir, un désir seul, à sens unique, tournant en boucle autour de moi, me faisant croire que l’objet de mon amour est aussi fou amoureux de moi alors qu’en réalité il ne me connait pas et est encore moins épris de moi. Cette force magnétique anticiperait les réponses que je voudrais entendre, me plongerait ainsi dans l’extase de celui qui se sent aimé alors qu’en réalité, il n’a jamais été aussi seul.

Cette hypothèse me semble plausible. Il fallait que j’admette sa probabilité. Le Joueur avait quand même placé dans une interview un mot code que j‘avais toujours à la bouche pour lui répéter avec humour que je serais sa chienne. Quand je le vis, il m’adressa des sourires radieux, débordant de tendresse. J’avais cru y lire aussi du désir et la joie déjà suscitée par notre rencontre. Il m’adressa aussi plusieurs codes secrets lors de passages à la télévision. Mais si tout cela n’était que coïncidences, hasards, erreurs d’interprétations…

Ma première angoisse serait qu’il entre dans une grande colère après avoir lu mes écrits. Rappelons que je les ai élaborés avec la patience des vérifications et la bonne foi à laquelle m’invitait la force magnétique. Elle passe ses journées à me répéter que le Joueur et moi sommes tous deux en paix en forçant mon regard à se poser sur deux points de brillance argentée en même temps. Admettons que ça le fâche au delà de ce que je puisse imaginer, que mon audace à l’associer à mes idées de libertinage érotique le mette hors de lui comme bien d’autres choses encore, je regretterai très sincèrement de m’être trompé. J’aurais immédiatement envie de lui présenter mes plus plates et sincères excuses. Je regretterais profondément de l’avoir embarqué dans une histoire qui l’horrifie, pourrait le déshonorer, créer troubles et malaises au sein de sa famille. Je serais vraiment désolé en pensant avant toute chose au préjudice que lui aurais créé. Car s’il ne sera plus question de parler d’amour, j’aurais une affection et une tendresse sans limite pour lui, à jamais reconnaissant pour ce qu’il a provoqué dans la société française. J’aimerais qu’il sache que je le respecte trop, surtout que je ne supporte pas de le voir souffrir, encore moins par ma faute. Je m’en voudrais à mort, me reprochant toute ma vie de m’être laisser abuser par ce système de langage magnétique dans lequel je ne rechignai pas à le laisser manipuler ma tête dans tous les sens comme une machine.

Ces conditions étaient douloureuses, voire pénibles pour élaborer des hypothèses qui se seraient avérées foireuses. J’essaierais peut-être d’expliquer que tout concordait à la fin de la journée, des semaines, des années. Que je n’avais rien demandé, que c’était le Chanteur qui m’avait mis sur la piste du Joueur. Que la prégnance des images de son visage sans cesse ravivées étaient impressionnante tout comme la vigueur et le réalisme de nos câlins : mon corps n’avait jamais autant bougé tout seul alors qu’il était abandonné au repos. C’était bien des forces cosmiques qui s’emparaient de moi, me faisaient voir le visage et le corps du Joueur en train de me prendre. Mais n’avais-je pas créé inconsciemment un système dont la seule force magnétique était celle d’un amour aveugle, justement. Je serais réellement chagriné d’avoir publiquement associé un tel personnage public, un tel mythe à mes histoires et mes rêves. Je serais avant tout soucieux d’apaiser le malaise, la colère, la souffrance que j’aurais provoqués. Ma priorité serait la réparation. Mon angoisse maintenant est d’avoir pu entacher une réputation. J’essaierai de me faire comprendre, je renouvellerai surtout mille fois et plus encore mes excuses, mes regrets, mon dépit d’être aussi con.

Il me resterait à faire le deuil de cette histoire. Les dommages provoqués par la révélation erronée de cet amour me paniqueront assez pour que je me précipite à l’enterrer. J’aurais trop peur du courroux du Joueur. Il m’interdirait de l’aimer davantage.

Il restera ma tête soumise à la force magnétique qui, elle, ne m’aurait pas quitté, les objets-mots qui m’annonceraient toujours que je suis un combattant en paix. En ce moment on fait déplacer mon crâne et mon regard sur une grande et une petite rose, ce qui dans notre code prête au Joueur l’envie de me dire qu’il veut faire son bébé avec moi. C’est la manière la plus redoutable de me faire replonger dans la marmite : la nuit quand je m’endors, ma bouche lui souffle des mots doux pour qu’il s’endorme. Je suis comblé dans mon envie de le protéger, de le couver, de le cajoler.

Malgré la nécessité de faire le deuil, je sens que je craquerais souvent. La force magnétique me ferait savoir qu’elle s’y emploierait. Je devine que je continuerais à l’aimer cette fois dans le secret et l’isolement. Je crois que je ne pourrais pas revenir sur un tel abandon, effacer une telle imprégnation de sa personne de mes visions, de mon imagination, de mes rêves, de ma conscience. La force magnétique me forcerait à rester isolé et coupable sur un chemin qui tournerait en boucle, à jamais perché au pays des illusions.

J’attends et j’attendrai toujours. J’attends, redoute une manifestation d’hostilité, présente toute ma disponibilité pour réparer. J’attends qu’il m’appelle. Il ne le fera peut-être jamais. Je serai condamné à vivre avec la force de sa virtualité. Cela pourrait me suffire si je retrouvais la possibilité de marcher un peu plus que quatre cents mètres, d’avoir un peu moins mal à la tête, moins le besoin de dormir tout le temps. Je ne demande pas grand-chose. Le Joueur a tellement de puissance que je serais heureux à continuer de vivre avec sa représentation, les habitudes déjà prises, les extases, la tendresse et les jouissances.

Il resterait à oublier l’arrivée imminente de l’Eden. Cette idée était trop belle. Parfois, je n’arrivais pas à y croire. Il me suffira de me dire que j’avais eu raison dans ces cas là : il ne viendra pas demain. Il me faudra renouer avec cette idée contemporaine que j’avais longtemps partagé : le bonheur n’existe pas. Ai-je fait preuve de paresse, de régression en voulant le réhabiliter ? Il avait commencé pourtant à prendre une belle forme. D’abord la surprise de la beauté et de l’harmonie qu’aurait réservé le cosmos à l’humanité, à sa planète. Ensuite s’était épanouie une utopie peut-être un peu naïve de réalisation des « délibérations oniriques » de tous les hommes et de toutes les femmes, une osmose des rêves et des désirs des uns et des autres qui allaient dessiner des formes, des organisations, des paysages, un art précieux du bien vivre, évidemment une paix absolue. Ce ne sera pas encore pour demain que les puissants seront à genoux, le petit cercle des possédants de la richesse planétaire qui manque tant à 90% de l’humanité. La force du langage cosmique m’a tellement répété que l’amour avec le Joueur et l’irruption de l’Eden iraient de pair. Si le Joueur fait défaut…

Je sais que je me contenterais de ses traces, de l’impression de son corps, de ses grimaces, de sa voix au fond de mon cerveau. Ils occupent l’essentiel de ma vie. Je crains qu’il en soit ainsi jusqu’à ma mort. Il ne faudra pas que je m’exaspère de trop attendre. Je devrais me résigner à vivre ainsi à ses côtés. Je ne pourrai sans doute pas m’empêcher de lui parler toujours autant. Les illusions tomberont. Mon amour restera.

J’espère que je conserverai les mêmes désirs et occasions de rire avec lui. Je n’ai jamais autant ri qu’avec lui. Je crois que personne ne pourra plus m’enlever cette légèreté là. Puisse-telle remplacer complètement la douleur de l’attente, du rêve brisé. Puisse le Joueur exister toujours d’une manière ou d’une autre à mes côtés. J’ai déjà essayé de l’oublier, cela n’a jamais marché. En réalité il est éternel, définitivement rivé en moi. C’est bête à dire : je ne connais pas l’avenir.

-----

La rencontre, un désamour, la fin d’un monde Mutations