Mahmut, 24 ans, est originaire de Turquie. Cheveux longs, noirs et bouclés, une mèche épaisse recouvre entièrement ses yeux et lui donne des airs de cocker triste. Mahmut est accusé de « violences aggravées » parce que commises envers une personne chargée d’une mission de service public – un agent RATP. Il lui a « sérieusement tordu le pouce » : dix jours d’ITT.
C’est le dossier n°5 de cet après-midi de comparutions immédiates (28/11/2008). Le Président revient sur les faits. Le soir du 11 septembre, une équipe RATP contrôle les titres de transport dans un couloir de la station Poissonnière, pas loin des portes de sorties. Mahmut sort du métro, se dirige prestement vers l’extérieur, est arrêté, n’a pas de ticket, pas de moyens de paiement. On lui demande une pièce d’identité qu’il tend à l’agent. Celui-ci commence la rédaction de son PV et note une partie de l’identité du fraudeur. Mahmut décide alors de s’enfuir. Il arrache d’un coup sec ses papiers à l’agent, ce faisant, il lui tord le pouce, puis il remonte les escaliers en courant, tombe, se relève et disparaît dans la nuit.
Après l’étude des vidéos de surveillance, Mahmut est finalement appréhendé le 27 novembre. Placé en garde-à-vue, il reconnaît sa fuite, mais dit ne pas avoir voulu blesser. Il tente de s’expliquer devant le tribunal, inaudible : « … pas bien ce jour-là… ma mère… tête… ». Son débit est rapide, son articulation plus qu’approximative, Mahmut inverse en plus curieusement les accents toniques. Rien d’un accent étranger, c’est sa façon bien à lui de parler. La salle tend l’oreille et saisit quelques mots au bond : « … rendu compte… argent… ». Le président le coupe : « S’il vous plaît monsieur, c’est incompréhensible, pouvez-vous articuler ? » Le prévenu continu son récit : « échappé… pas voulu… pouce… mes papiers… à gauche en sortant du couloir… m’excuse si je l’ai blessé ». Difficile de saisir sa version des faits.
Entendu par la police, l’agent RATP admet « ne pas savoir si le prévenu lui a volontairement tordu le doigt… ». Pour son avocate, « l’incident est en tout cas bien plus important qu’un simple doigt tordu » : « Monsieur X. a une luxation du pouce. L’articulation a été déboîtée. De fait, l’action de l’agresseur a dû être particulièrement violente. Mon client n’a pas pu travailler pendant presque un mois ».
Arrivé en France à l’âge de quatre ans, le casier de Mahmut est vierge et l’homme suit actuellement « une formation pour travailler dans le bâtiment ». Son attitude ne joue cependant pas en sa faveur. Au matin de sa comparution, Mahmut aurait dit à la Procureure : « C’est une histoire de rien du tout qu’on a monté en épingle. L’agent RATP en aura profité pour prendre des vacances, tant mieux pour lui ! » Celle-ci prend la parole, agacée : « Dans un cas comme celui-ci, je demande généralement à ce que le prévenu rende à la société ce qu’il lui a pris, c’est-à-dire du travail. Mais vu son comportement, il est clair que monsieur n’y est pas prêt. Pour réfléchir aux conséquences de ses actes, on n’a encore rien inventé de mieux que la prison : je demande trois mois avec mandat de dépôt et je suis contente que cela le fasse sourire ». À l’écoute de ce réquisitoire, le prévenu a effectivement esquissé un léger rictus. Il lève alors timidement le doigt et l’on entend, ce coup-ci très clairement : « Heu… c’est quand même abusé. Je peux parler ? » Son avocate lui fait signe de se taire. Elle prend la parole et plaide la blessure involontaire.
Verdict. Après délibérés, le tribunal décide de requalifier les faits en « blessures involontaires ». Mahmut est condamné à 500 € d’amende avec sursis. Il tente de discuter : « … pas juste… prochaine fois… ». Le président le coupe : « Monsieur, si vous n’êtes pas content, vous avez dix jours pour faire appel de cette décision ».