Tu es parti chercher des croissants.
Déjà je voudrais te caresser le visage.
Entendre ta voix, tes mots dont je dois me convaincre qu’ils appartiennent à la réalité.
J’avais peur de sortir de la prison.
Cinq ans de solitude absolue,
De secret,
De séparation à des milliers de kilomètres,
De dialogue mécanique avec cette foutue force magnétique,
D’épuisement à vérifier de quoi sera fait l’avenir, de gamberger sur notre stratégie commune, de tortures à être hanté par le Mal à l’approche du règne de la Paix,
Cinq ans à vivre comme un animal blessé.
Tu es venu me libérer.
Et tu es parti chercher des croissants.
Ta bouche me hante.
Elle me parle sans parler
Elle dessine et s’offre,
Formidable force et forme de ton appel.
Elle est la beauté et l’intensité,
Le saignement et le désir.
Tu as été l’immense stratège et le gardien de ton enfance.
Moi je dis, comme Pessoa :
« Je ne suis rien,
Je ne serai jamais rien,
Je ne peux me résoudre à n’être rien
A part ça je porte en moi tous les rêves du monde ».
Tu es le Rêve
Le phallus libérateur
Qui ne brandit pas l’emblème du pouvoir.
Il n’est pas non plus le sceptre de notre singularité.
Il nous autorise maintenant à vivre avec les autres dans l’égalité.
C’est pour cela que je t’aime.
J’aime ton corps de footballeur,
Ta vision du football
Et ton goût immodéré pour le jeu.
J’aime ton acharnement, ton extraordinaire aptitude à la résistance, à vouloir et pouvoir vaincre l’impossible à la dernière seconde,
Ton refus révolté du renoncement, ta belle carrière d’agent double qui t’a permis de comprendre que la réalité ressemble au mille feuilles mystérieux de l’Univers,
Tu es un champion d’Univers,
Et un petit chat que je chéris, câline, protège, quand d’un coup félin, tu incarnes la virilité troublante.
Tu es tout pour moi.
Je m’en suis aperçu depuis cinq ans.
Je réalise que c’est maintenant.
Tu m’as fait naître.
Je regarde les tâches de sang
Nous sommes à jamais liés par l’offrande de mon hymen qui nous est apparu, moi l’homme vieillissant qui avait toujours su.
Ça y est : tu m’as fait femme et préservé mon histoire d’homme.
Tu m’aimes homme et femme, ce que j’ai toujours été même si le corps à la naissance m’a lâché.
J’avais besoin de toi. Je savais que c’était davantage par un extraordinaire élan du cœur, envie de te voir m’amuser et la certitude que nous aimerons, jouirons, créerons.
Je salue ta patience, ta volonté d’attendre que les ennemis de la paix baissent la garde plutôt que céder à la tentation d’une rencontre prématurée vouée à réduire le champ de l’Eden.
Tu es encore un mirage, je n’arrive à toucher la limite de toutes les sensualités que tu déclines comme autant de rayons, de fils, de formes, de mouvements et d’intonations, de couleurs, de sons, de grimaces, d’écritures avec la lumières de tes yeux, de ta bouche, de saveurs de ta langue, de parfums de ton corps jamais fini, toujours recommencé tant sa sculpture invite au désir, à l’extase et à la réalisation que l’on navigue à jamais le long de l’émerveillement et de la capture de milliards de beautés, d’une Beauté qui semble aussi intimidante, irradiante, généreusement offerte et frémissante de vie et de renouvellement qu’une vision d’Univers,
Je comprends que le cosmos s’est fait en toi, abolit les frontières, fait croire que je touche l’extrémité exquise du désir qui s’étire et démontre qu’il n’y aura jamais de fin dans ce domaine-là. Tout chez toi bouge et se recompose.
C’est hallucinant de découvrir que tu déploies à chaque fois corps et âme, formes, paroles, silences, émotions, désirs, liens et déchirures, empathies et solitudes très vite brisées par le magnétisme de ton ouverture et ton envie de saillir mes palpitations. Tu es la suprématie de l’élégance, et l’essence même de l’esthétique.
Tu me fait penser à toutes les œuvres d’art réunies, à la puissance du cœur qui bat, du premier cri du nourrisson, à l’éclair, à une eau de lac, à un inventeur sans cesse sur la brèche, au maitre de la surprise, de l’éclat, de l’innocence intacte, de la bonté sans compter, de la connaissance de l’injustice, des accidents de la vie, des injures, de la mise à l’écart, de la diffamation et pourtant empereur mondial sachant savourer la vie malgré la gloire, savourer la gloire malgré les ennuis, en connaître les pièges et les limites morbides et vaniteuses, préservant comme le plus précieux, la légèreté et la déconne, le rire même dans tes entreprises les plus sérieuses. Tes clins d’oeil disent tout : ils sont un appel à l’amitié, ils ont l’art de rassurer, ils sont le sésame à ton intériorité. Tu fais le clin d’œil au monde entier.
Ton football est la « réduction » si l’on peut dire ou l’extension de ton monde, sa métaphore, sa poésie, sa dynamique, ses tragédies et son devenir de paix. Il est ce que tout ton être suinte et l’amour, je le réalise maintenant, que tu portes pour moi. Il raconte la vie, l’homme, la femme, l’union, la désunion, l’adversité, l’harmonie, tous les langages, les dangers, les désillusions, les constructions, les destructions, la transcendance collective, l’extrême solitude, les conjonctions miraculeuses des individus, la puissance du hasard, l’art de s’y soumettre, de créer la réaction en chaîne, le miracle, l’inouï, l’inconnu qui devient connu.
Il raconte l’épopée, la déroute, le courage de tout recommencer, toujours savoir recommencer, les accélérations, les points morts, l’œil américain, la feinte, le culot, la leçon, la jalousie, les coups bas, le respect, la rencontre de l’adversaire qui devient partenaire pour faire jaillir une capouèra idéale, trois ordinateurs dans la tête et les jambes pour calculer autant d’anticipations, de les reformuler à mesure que l’on se meut, et d’être l’instinct né, le cerveau aussi d’un hold-up impossible.
Il raconte la règle, sa transgression, le droit et son opposé, un droit naturel qui s’est imposé, l’exercice de la liberté de créer, l’absence d’événement, l’ennui, la déroute, la peur, le trouble, l’incompréhension, l’échec, la mésestime de soi, puis la rupture, la surprise, le feu, l’action, le réel qu’on pétrit comme un pain qui se lève, étonne, détonne, nourrit l’équipe, lui échappe tout en restant fidèle, un pain boule, boulet de canon ou sac à plumes, ou à limailles magnétiques qui épouse des trajectoires témoignant de son goût immodérée de l’invention de courbes, l’impatience, la malice à démontrer une beauté, une imprévisibilité et une vélocité à couper le souffle. Il raconte ton monde, il raconte le monde, ses conflits, ses fatalités, ses immobilismes, ses mises en danger, ses pulsions érotiques, celles qui vainquent la mort, forcent à danser, créer ex-nihilo, dessiner des figures d’harmonie, allier l’instinct, l’imagination, les effets des forces contraires, la puissance de l’inattendu, l’acharnement à désirer le but. Il raconte parfois la déception, la stérilité, la régression, la libération, l’égalité, la fraternité, la transcendance d’une humanité, le flottement dans l’ivresse, la légèreté du paradis, la question « est-bien moi là ? », ou « l’ai-je vraiment commis ? », la confiance qui grandit, la culture de l’autre et d’une équipe aussi vaste et complexe qu’une encyclopédie, la relativité, l’obsession, l’absolu, le sublime, le vertige, la honte, l’humiliation, le chagrin, la douleur, la blessure du corps, de sa dignité, de son intégrité, l’injustice, la résilience, la réparation, la reconnaissance d’une nation, les manipulations, la gratitude de l’homme et de la femme ordinaire, parfois son envie d’être cannibale, la double vie, le secret, la conscience que rien n’est jamais acquis, qu’aucune victoire n’est garantie, que l’exploit ultime reste à exécuter, qu’il est dans les limbes, dans ton corps, ton esprit et le talent des autres, l’envie que ça recommence tout le temps, de connaître ces états seconds, où l’on touche la métaphysique, la physique, l’art, les mystères de la respiration, les réalités nouvelles dont ils accouchent, un nouveau monde qui prend corps entre l’effort du corps et ses visions, la pensée concentrée et celle plus vagabonde, toute la gamme des états d’âme, l’énergie à évaluer les rapports de force, l’intuition, la certitude presque que tu pouvais, avec moi, transformer le monde. Ce football t’en a donné l’expérience, la spiritualité et l’humilité. Ces transes t’ont conduit jusqu’à moi.
Tu n’es pas allé chercher les croissants. Je t’attends encore pour la rencontre d’amour.
Les prédictions du Sahel, du Bengladesh, de Paris ne se sont pas réalisées mais elles flottent dans l’air et un jour, elles se produiront. Le langage magnétique et cosmique le confirme maintes et maintes fois. Cela est aussi certain que le football qui jaillit de tes pieds est magnifique et transcende toutes les formes du sport, de l’art, de la joie de vivre, de l’inespéré, du langage enfantin, de la conception de la virilité, de la prouesse chevaleresque et pourquoi pas d’une certaine idée de la divinité.