Ce mercredi, tous les projecteurs étaient tournés vers la cour d’assises de Douai où les avocats entamaient leurs plaidoiries pour défendre les bourreaux de Marc, 5 ans. À l’étage du dessous, dans la petite chambre d’instruction du palais, se tenait un autre procès hors norme en audience publique – et pourtant, peu sont assis sur les bancs. Il est 9 heures, début du premier procès au pénal pour juger un « irresponsable », Thomas Andersen, 20 ans, du meurtre d’une septuagénaire en 2006. L’homme, clairement diagnostiqué schizophrène par tous les experts psychiatres, n’a même pas été extrait du centre très spécialisé de Sarreguemines (Moselle) où il est interné. Trop dangereux.
L’accusé absent, il ne sera pourtant question que de lui, de sa folie et des faits qui lui sont reprochés : le meurtre de plusieurs coups de couteau de Geneviève Parisse, 65 ans, chez elle à Maing, près de Valencienne, le 14 octobre 2006. Albert Parisse, 65 ans, tente de s’interposer : Anderson le blesse grièvement avant de prendre la fuite. Il sera arrêté un peu plus tard à Valenciennes. Thomas avait alors tout juste 18 ans. Il prévoyait cette vengeance depuis quatre ans. Et c’est une « petite voix » qui l’aurait poussé au passage à l’acte.
Les conclusions des quatre experts psychiatres interrogés mercredi sont parfaitement identiques – aucune divergence dans leur analyse, ni même de nuance : « Le sujet était atteint, aujourd’hui et au moment des faits, d’une maladie mentale parmi les plus graves, la schizophrénie à tendance paranoïaque ». Avant le dernier décret de la loi Rachida Dati en date du 15 mars 2008, la famille Parisse aurait simplement reçu une lettre du juge d’instruction – courrier disant que Geneviève avait bien été assassinée, mais qu’un non-lieu allait être ordonné pour abolition du discernement de l’assassin. Dans « l’intérêt des familles », tout change avec la loi Dati. Mercredi dernier, c’était la première fois que cette juridiction spéciale se réunissait. Six autres dossiers sont actuellement en cours en France.
Les experts ont raconté comment cette vengeance folle et gratuite a pu mûrir dans la tête de l’adolescent. Un père alcoolique, « déglingué », et une mère dépressive qui se défenestre quand Thomas a 3 ans. L’enfant est alors placé chez la famille Parisse, dans laquelle il restera jusqu’à l’âge de 9 ans. Un petit garçon qui souffre d’énurésie et d’encoprésie, considéré à l’école comme « celui qui pu ». Un préado « dans son monde et dans sa bulle » qui peine à communiquer avec les autres. Un jeune obsédé par les couteaux, qui fantasme de « retourner dans un établissement où il a été élevé pour faire un carnage avec un flingue et se suicider après ». Sa consommation de cannabis est alors de plus en plus importante et accentue la maladie mentale. Sa paranoïa s’aggrave : « Il voit partout des yeux qui le regardent ».
Anderson reconnaît les faits, mais ne se sent pas responsable : « Il y a lui et il y a l’autre, Thomas, celui qui a tué. De fait, il ressent une absence totale de honte et de culpabilité ». L’une des enquêtrices a même raconté les premiers interrogatoires du forcené qui « paraissait content de ce qu’il avait fait ». Ses premiers mots ont été : « Laissez-moi rire ». Il regrette cependant d’emblée que le « travail ne soit pas terminé », car c’est finalement au fils de la famille Parisse qu’il aurait aimé s’en prendre.
Comme dans un procès d’assises normal, Me Harbonnier, du barreau de Valenciennes, est là pour représenter son client. Mais ici, il s’exprime peu. Qu’a-t-il effectivement à défendre puisque l’avenir de Thomas Anderson n’est pas du ressort de la justice, mais bien des médecins qui le soignent ? De fait, malgré l’émotion palpable dans la salle et la présence très digne de la famille Parisse, on ressent comme un flottement. Comme si les juges, magistrats et avocats se sentaient peu à l’aise. Est-ce simplement la nouveauté ? Ou l’impression de sortir de leur rôle ? Car il ne s’agit finalement pas de juger Thomas Anderson, mais bien de rendre compte d’une réalité terrible pour la famille de la victime. De leur dire : « L’homme qui a tué votre mère, votre femme ou votre sœur est bel et bien irresponsable. Voici pourquoi. Voici les hommes qui ont posé ce diagnostic. Voici comment ce meurtrier est actuellement soigné. Voici comment il va vivre ces prochaines années. Et voici pourquoi il ne sera jamais considéré comme totalement guéri ».
L’un des médecins interrogé a eu la délicatesse d’offrir à cette famille une analyse déculpabilisante en parlant de « l’énormité du travail qu’accomplissent les familles d’accueil qui font l’objet de projections importantes de la part des enfants ». Il explique : « S’il s’en est pris à cette famille d’accueil, c’est qu’il la considérait à un endroit “responsable” de l’avoir arraché à ses vrais parents. Pour lui, ces gens lui imposaient leur amour, or lui ne souhaitait que l’amour de ses propres parents ». Et de conclure : « Les projections de Thomas sur ces gens, cette haine qu’il a cultivé à leur égard, n’a rien à voir avec la réalité. C’est important de le dire pour éviter de les blesser davantage ».