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Le pape roule pour Sidaction

20 mars 2009 à 12h07

Hier soir, une amie, jeune femme de 31 ans, me racontait la réaction de sa propre mère à l’annonce de sa séropositivité, il y a de cela 8 ans. Pour sa mère, elle serait elle-même responsable (et coupable) de sa contamination. Car pour celle-ci, catholique pratiquante, si elle n’avait jamais parlé de sexe avec ses enfants, c’était pour mieux prodiguer le message de l’abstinence jusqu’au mariage. Et hors de question, dans cet objectif, de parler du préservatif ! Cette amie craint que la médiatisation des propos du pape ne fera que renforcer le jugement de sa mère…

Voilà pourquoi les propos sur le sida des conservateurs d’inspiration religieuse — toutes tendances confondus — sont insupportables et doivent être dénoncés sans relâche.

Mais la polémique médiatique — à quelques jours de l’opération de charité télévisée menée par Line Renaud — finit par donner le sentiment que les propos de l’un d’entre eux (certes, plus haut dignitaire de l’Église catholique), rapporté par un journaliste de France 2, sont mis à profit comme une aubaine légitimatrice pour une opération de collecte de dons. En 2005, Sidaction avait mis la faible récolte sur le compte de l’interruption télévisuelle occasionnée par la mort du pape, alors qu’Arielle Dombasle avait été coupé par un flash d’info…

Dans ce brouhaha incantatoire, deux camps moralisateurs s’affrontent : d’un côté, les religieux dont le premier crime est de rendre les cibles de l’épidémie victimes de leur propre sort. En face, un regroupement hétéroclite d’associations de lutte contre le sida issues du mouvement homosexuel, des anti-cléricaux ou laïques, et des spécialistes de la prévention qui ont érigés le port du préservatif en morale, au nom de la lutte contre l’épidémie.

Les deux ont tort, car la morale n’est jamais une réponse aux besoins de santé. L’injonction à l’abstinence ou à la monogamie est vouée à l’échec. L’injonction au port du préservatif, malgré 25 ans de campagnes de prévention, n’a pas mis un terme à l’épidémie, pas plus dans les pays riches que dans les pays pauvres.

Il n’a pas été facile de retrouver une traduction fiable des propos du pape :


— Question de Philippe Visseyrias de France 2 : Saint Père, parmi les multiples maux dont souffre l’Afrique, il y a aussi en particulier celui de l’épidémie du sida. La position de l’Eglise catholique quant aux moyens de lutter contre ce fléau est souvent considérée comme irréaliste et inefficace. Aborderez-vous ce thème durant le voyage ?

— Réponse de Benoît XVI [traduit de l’italien] : Je dirais le contraire. Il me semble que l’entité la plus efficace, la plus présente sur le front de la lutte contre le sida est vraiment l’Eglise catholique, avec ses mouvements et ses diverses structures. Je pense à la Communauté Saint Egidio qui fait tant, de manière visible et aussi de manière invisible pour lutter contre le sida, aux religieux Camilliens, à toutes les religieuses qui sont au service des malades… Je dirais qu’on ne peut vaincre ce problème du sida uniquement avec des slogans publicitaires. Si ce n’est pas le cœur, si les africains ne s’y entraident pas, on ne peut résoudre ce fléau avec la distribution de préservatifs : au contraire, le risque est d’accroître le problème. La solution ne peut venir que d’un double engagement : en premier, une humanisation de la sexualité, c’est-à-dire un renouveau spirituel et humain qui permette une nouvelle manière de se comporter les uns avec les autres, et deuxièmement une vraie attention particulièrement à l’égard des personnes qui souffrent, la disponibilité, les sacrifices aussi, les renoncement personnel pour être avec les personnes souffrantes. Ce sont les moyens qui aident et permettent des progrès visibles. C’est pourquoi, je dirais que c’est là notre double force : renouveler l’homme intérieur, donner une force spirituelle et morale pour un comportement juste dans la manière de considérer son propre corps et celui d’autrui, et d’autre part cette capacité à souffrir avec ceux qui souffrent, d’être présents aux cotés de ceux qui traversent des épreuves. Je crois que c’est là la juste réponse, que l’Eglise la met en œuvre et offre ainsi une aide très grande et importante. Nous remercions tous ceux qui y participent.

Sur l’aggravation supposée du « problème », la phrase est ambigüe, car on ne sait pas si le problème dont il s’agit est celui du sida ou de la morale. Si humaniser la sexualité signifie la réduire à sa fonction dans la procréation dans le cadre d’une relation monogame, c’est triste mais cela ne fait que réitérer la vision étriquée des conservateurs religieux.

Le crime que personne ne semble avoir relevé concerne ce qui est dit sur les personnes qui vivent avec le virus. La disponibilité, les sacrifices et le renoncement sont certes des composantes de la solidarité avec les personnes atteintes. Mais l’infection à VIH se soigne, même si elle ne se guérit pas ! De ce fait, la première exigeance de solidarité, c’est de lutter pour l’accès aux traitements antirétroviraux et pour des conditions de vie permettant de vivre et de se soigner dans la dignité.

D’ailleurs, le grand débat scientifique aujourd’hui porte sur l’intérêt préventif de la charge virale : Kevin De Cock et ses collègues ont démontré à l’aide de modèles mathématiques que l’éradication de la pandémie est possible si l’accès universel au dépistage est doublé par l’accès universel au traitement. Cela rétablit l’espoir alors même que la recherche vaccinale est durablement dans l’impasse.

Les médicaments contre le virus pourrait même rendre obsolète le préservatif, car les preuves s’accumulent pour démontrer qu’ils sont efficaces pour empêcher la transmission du virus : ainsi, selon l’avis de la Commission fédérale suisse sur le sida, une personne qui prend bien son traitement antirétroviral ne serait plus contaminante sous certaines conditions !

Si le pape passe sous silence cette question, cela démontre à quelle point, pour les conservateurs religieux, le sida reste un « fléau social », alors qu’il s’agit d’abord d’une maladie, avec laquelle il est possible de vivre et d’espérer grâce au progrès de la médecine, sans le moindre recours aux incantations religieuses.

Ce silence sur l’accès aux traitements, alors même que partout sur le continent des familles luttent pour survivre au sida et pour obtenir les médicaments dont ils ont besoin, est criminel. Il est la conséquence du jugement porté par les conservateurs religieux sur ceux et celles qui vivent avec le VIH.

Mais ceux qui portent le discours moralisateur pour prôner le port du préservatif taisent également cette avancée de la recherche médicale et le débat — certes polémique — qui l’entoure devenant ainsi, paradoxalement, les complices des conservateurs religieux. Alors même que le préservatif — sans avoir besoin d’un discours moralisateur — reste un formidable outil à la fois de prévention et de contraception, et le seul, pour l’instant, qui fasse l’unanimité.

Reda

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9 Messages de forum

  • Le pape roule pour Sidaction

    20 mars 2009 13:09, par toots

    Excellent article, merci !

    J’ai moi même été très surpris en lisant les chiffres de risque de contamination comparés aux images stéréotypées que les médias et/ou les conservateurs nous imposent.

  • Le pape roule pour Sidaction

    20 mars 2009 13:39, par tapenade

    Tout d’abord, merci de cet article.

    Je me permets toutefois deux commentaires :

    Je trouve l’assimilation Benoît XVI = tout religieux un peu réductrice. Benoit XVI ne représente "que" les catholiques (ce qui est déjà pas mal). Il existe heureusement beaucoup de religieux de toute obédience qui sont loin de penser comme lui. Je suis boudddhiste et je suis très loin de penser comme lui, évidemment.

    D’autre part, l’annonce d’une prochaine fin du préservatif est loin d’être acquise, même si les progrès des thérapies contre le SIDA sont encourageants, car le SIDA n’est malheureusement pas la seule MST et toutes sont en recrudescence, y compris la Syphilis.

    • Le pape roule pour Sidaction 22 mars 2009 02:43, par Reda
      En fait, je vise toutes les formes de conservatisme social qui existent indépendamment de la religion ou de la culture, car elles bloquent le dialogue et l’ouverture aux questions, certes compliquées, liant sida et sexualité. Il ne faut pas se tromper d’ennemi, ni confondre le conservatisme social ou l’ordre moral avec son habillage religieux ou culturel. Les violences dont les femmes sont victimes, la situation des jeunes homosexuels issus de l’immigration, ou d’autres formes d’intolérance et de violence, sont des questions liées aux inégalités de pouvoirs dans la société française et n’appartiennent à aucune culture ou religion (même si toutes les religions ont, historiquement, servi à mettre en place et maintenir l’ordre patriarcale ainsi que d’autres inégalités sociales).
  • Le pape roule pour Sidaction

    20 mars 2009 19:54, par Catherine présidente de l’ARPPI (Association pour le Respect des Proches de (...)

    Que pouvait on espérer de plus, à propos du sida, d’un Benoît XVI sous pape qui a fait partie, semble t’il, des jeunesses Hitlériennes ?

    Une salve de morale, une rafale de propos judéo chrétien sur la capacité des uns à souffrir accompagnés par les autres, les "bons", ceux qui se voudraient conscience du monde, ceux qui ne baisent pas avant ou hors mariage, ceux qui vous tiennent la main en vous accompagnant à la mort avec un pin’s catho sur le revers du corsage.

    Soeur Emmanuelle en son temps avait déjà dénoncé tout ça et envoyé un papyrus au pape ancien.

    On fait quoi pour l’Afrique ? On brûle un cierge et on oublie ? En ce cas, prières et transes conjuratoires sont et resteront la chemise sur le catho…

    Catherine

    Voir en ligne : Le pape roule pour Sidaction

  • Le pape roule pour Sidaction

    21 mars 2009 23:25, par cohérence

    Vous dites : "L’injonction au port du préservatif, malgré 25 ans de campagnes de prévention, n’a pas mis un terme à l’épidémie, pas plus dans les pays riches que dans les pays pauvres."

    Ne pensez-vous pas que si le port du préservatif avait été effectif depuis un quart de siècle, le sida aurait fait beaucoup moins, voire peu de victimes ?

    • Le pape roule pour Sidaction 22 mars 2009 02:40, par Reda

      C’est facile à dire, mais quels moyens employer pour atteindre cet objectif ? Force est de constater que les comportements sexuels ne relèvent pas d’une rationalité où l’information sur les modes de transmission du virus se traduit par l’adoption de pratiques de prévention !

      Aujourd’hui, la seule population qui a su durablement changer de comportement est celle des usagers de drogue. En effet, aujourd’hui les contaminations par échange de seringues représentent moins de 2% des contaminations aujourd’hui. Mais une seringue propre n’altère pas le plaisir du shoot…

      Et effectivement ce débat a eu lieu parmi les psychiatres et autres spécialistes qui géraient l’accès des « toxicos » à la santé. Au départ, presque tous conditionnaient l’accès à la santé à l’arrêt de leurs pratiques, un peu comme le pape qui voudrait qu’on arrête de baiser… Mais mérite-t-on d’être contaminer et de mourir du sida parce qu’on se drogue ? En fin de compte, les médecins qui se sont souvenus de leur mission (soigner, pas juger !) ont compris qu’il faudrait bien trouver des solutions de prévention ne reposant pas sur le changement de comportement. Et, en quelques années, les seringues propres ont permis de faire chuter le taux de contamination parmi les injecteurs de 80% à 30%

    • Le pape roule pour Sidaction 25 mars 2009 14:27, par Odia
      C’est vrai que la distribution des préservatifs dans les pays en développement ne règle pas le problème du SIDA, pour beaucoup d’africains, le préservatif est un luxe. la solution est à chercher ailleurs. Il faut surtout avoir un comportement plus responsable. La polygamie agrave aussi la situation (en afrique la polygamie est pratiquée aussi bien par certains chrétiens que par les animistes)
  • Le pape roule pour Sidaction

    22 mars 2009 20:33, par Monsieur Moutarde

    C’est bien beau de prêcher l’intérêt préventif des médicaments, mais le son de cloche est différent quand on doit supporter leurs effets indésirables.

    Certes, la nouvelle génération de molécules provoque moins de problèmes que les Crixivan, Zerit et autres médicaments que plus personne ne prend dans les pays riches.

    Mais quand même !

    Avant de s’emballer en faveur d’une mise sous trithérapie de tous les séropositifs de la planète, il faudrait réfléchir un peu aux conséquences…

  • Le pape roule pour Sidaction

    30 mars 2009 22:04, par Françoise

    Salut !Je suis catho. Cela ne m’a jamais empêché de réfléchir. Au contraire même, puisque cela entraîne pour moi une grande exigence de vérité : dans ma religion, mentir est un mal. Je crois donc avoir bien compris les arguments de ton article et cela me fait penser que les cathos et toi sont beaucoup plus proches que tu ne le penses.

    1. Cette histoire de diabolisation du préservatif par les curés, le pape et tutti quanti est fausse : seulement voilà, on n’écoute pas ce qu’ils disent. Ce qu’ils disent, c’est que si on ne peut pas s’empêcher d’avoir des rapports, il est mieux de se capoter que de donner la mort. Si si, tu as bien lu : rapporte toi aux déclarations du cardinal Lustiger, tu verras. Évidemment, en même temps, ils disent qu’il est mieux d’éviter d’avoir des rapports "vagabonds" et c’est pour ça qu’on leur en veut tant. Dire qu’ils déconseillent absolument le préservatif n’est donc pas vrai.

    2. Mais surtout, la suite de ton article sur le dépistage et le traitement du VIH me montre qu’en fait, l’accès aux soins permettrait d’éradiquer le mal : Or sais-tu qu’en Afrique, le Pape a réclamé la gratuité de l’accès aux soins et aux médicaments pour les porteurs du virus ? sans doute non, car, ça, les médias se sont bien gardés de le dire…

    Pourquoi ? collusion entre les labos, les fabricants de préservatifs et nos bien-pensants de la pensée politiquement correcte ?