Doit-on s’excuser ou se justifier d’être hétérosexuel et séropositif ?
Quand Gilles Pialoux et France Lert remettent à Roselyne Bachelot un rapport dans lequel ils déclarent « priorité absolue » la prévention chez les homos, ils font pire qu’oublier l’autre moitié hétérosexuelle de l’épidémie. Ils nient son existence et la réduise à une quantité négligeable. Ils l’infériorisent, la réduisant à quelques paragraphes et quelques recommandations qui traduisent surtout leur méconaissance des besoins et des revendications d’une population qui est pour eux secondaire. Leur discours révèle au grand jour une opposition entre populations soigneusement construite et entretenue par une frange réactionnaire du mouvement homosexuel qui considère que seuls les homos ont réellement soufferts (et continuent à souffrir) de l’épidémie, et estime de ce fait que leurs besoins, leurs revendications passent avant ceux des autres.
Le dire ne diminue en rien le drame que vivent les « gays ». Du fait des choix politiques des pouvoirs publics et des associations qui portent les revendications de ce mouvement, une nouvelle génération d’homos se contamine comme si la volonté de la « génération sida » des années quatre-vingt et les acquis considérables obtenus liés à leur place dans la société française avaient été réduits à néant. Mais le drame vécu quand on a le VIH et qu’on est hétéro n’est pas moindre.
Le décryptage des chiffres du sida présentés en 2009 est édifiant, lorsque, comme moi, on lit avec attention ces chiffres depuis 1995.
Il est étonnant de constater que l’Institut national de veille sanitaire (INVS) a mystérieusement baissé de 25% la proportion d’hétérosexuels parmi les nouveaux séropositifs (73% en 2007, 52% en 2008), sans commenter cette baisse ni la lier explicitement à la nouvelle méthode de calcul des chiffres du sida.
Il n’est pas non plus précisé comment est calculé la taille de cette population homosexuelle, alors que ce calcul détermine la prévalence (proportion de personnes touchées) citée en 2009 par l’INVS comme étant « 200 fois plus élevée que parmi les population hétérosexuelle » (selon l’INVS, la prévalence était entre 70 et 100 fois élevée en 2007…) pour justifier la relégation des besoins des hétérosexuels au second plan.
Même avec ces nouveaux chiffres sortis du chapeau gay-friendly de Caroline Semaille, responsable de la surveillance du VIH à l’INVS, en terme du nombre de personnes qui vivent avec le VIH, on se retrouve avec une épidémie coupée en deux : moitié homo (48%), moitié hétéro (52%).
Les discours sur « les femmes » et leur « vulnérabilité » dans l’épidémie ne sont utiles que dans la mesure où ils donnent à celles qu’on prétend défendre de réels moyens pour non seulement se protéger mais pour vivre et se soigner dans la dignité. Et cela ne saurait se faire en oubliant l’autre moitié c’est-à-dire des hommes séropositifs. Ces discours leur laissent, au mieux, le rôle du « méchant contaminateur », responsables et coupables de contaminer des « oies blanches ». Si les inégalités de pouvoir entre hommes et femmes font que c’est souvent l’homme qui décide de la prévention (ou non), la diversité des parcours ne permet pas ce genre de réduction, instrumenté pour mieux diviser et effacer le fait hétérosexuel et familial de l’épidémie du sida en France aujourd’hui.
Reste le fait que parmi les hétéros contaminés, il s’agit majoritairement de personnes issues de l’immigration. L’INVS et les pouvoirs publics parlent de « migrants », une catégorie épidémiologique fabriquée de toutes pièces pour ne pas dire « Noirs et Arabes ». Mais les Noirs et les Arabes baisent avec d’autres gens de toutes les couleurs. Et, là aussi, braquer les projecteurs sur une seule population reviendrait à ériger des protections imaginaires (je ne suis ni Noir et Arabe, donc je ne peut pas avoir le sida) en politique de santé publique…
Un couple hétéro sérodifférent qui risque une contamination lors de chaque rapport sexuel n’a-t-il pas des besoins d’une « priorité absolue » en terme de soutien et de prévention ? Sa volonté de protéger le partenaire séronégatif ou de faire un enfant séronégatif serait-elle « secondaire » ou moins « prioritaire » que les besoins du jeune homosexuel qui multiplie les rapports sexuels non-protégés (parfois en les revendiquant) entre backrooms et plans culs sur le net ?
Que signifie cette volonté de faire passer les besoins d’une seule population avant ceux des autres ?
Ne doit-on pas lutter pour défendre équitablement toutes les populations sur le front du sida ?