Le ruban rouge est la création d’artistes new yorkais qui se sont calqués sur le ruban jaune, porté en soutien aux soldats américains.
Voir toutes ces stars et notables arborer un ruban rouge une (le 1er décembre, décrétée Journée mondiale contre le sida) ou deux fois dans l’année (pendant l’opération télévisée pour l’association de Pierre Bergé, Sidaction) pour parler au nom et à la place des premiers concernés me fait gerber.
Je m’occupe depuis 1995 d’une émission de radio hebdomadaire qui informe et donne la parole aux séropositifs issus de l’immigration et de la banlieue sur l’antenne d’une des dernières radios libres, Fréquence Paris Plurielle (106.3 FM en région parisienne).
1995, c’est un tournant dans l’épidémie du sida en France.
Premièrement, les médecins et les mamans séropositives ont gagné la première victoire face au virus : il a été démontré que l’AZT (Retrovir®) — qui ne prolonge pas la vie des séropositifs qui le prenne — est efficace pour empêcher la transmission du virus de la mère à l’enfant. Mon fils, né en septembre 2005, doit sa bonne santé à ce progrès formidable de la médecine.
Cette victoire a eu un prix : au fil des ans, j’ai recueilli plusieurs témoignages attestant des pires pratiques des accoucheurs, y compris la stérilisation forcée parce que séropositive, au nom de la sauvegarde de l’enfant et au mépris des droits des femmes.
Deuxièmement, il y a l’arrivée des antiprotéases qui vont transformer l’espérance de vie des personnes atteintes. Ce sont de puissants médicaments capables de dompter le virus (sans l’éradiquer, malheureusement) quand on les associe à d’autres molécules qui agissent en concert contre le virus du sida (et au début, c’est 20 ou 30 comprimés à gober tous les jours). Les premiers à les prendre sauveront leurs peaux, mais y perdront leurs plumes, découvrant des années plus tard que cette première génération d’antirétroviraux étaient des cadeaux empoisonnés, permettant de rester en vie mais au prix de lipodystrophies (défiguration du visage et du corps à cause de troubles de la graisse), de problèmes cardiaques, de diabète, et bien d’autres effets pudiquement nommés « indésirables » par les laboratoires pharmaceutiques…
Troisièmement, il y a la reconnaissance que la réduction des risques chez les toxicomanes, ça marche. Des seringues propres et la substitution permettent de faire chuter de 80 à 30% le nombre d’injecteurs contaminés par le VIH (même si la chute s’explique aussi par la surmortalité des séropositifs dans les quartiers pauvres, et si ceux-ci payeront une deuxième fois l’addition avec les hépatites). Il vaut mieux tard que jamais : la France est le dernier pays d’Europe a avoir autorisé la mise en vente libre des seringues…
Enfin, 1995 est aussi l’année de toutes les dérives suite à la récolte inespérée de plus de 300 millions de francs lors de l’opération télévisée « Sidaction » le 7 avril 1994… La possibilité d’exploser la chape de plomb autour de ce que vivent les personnes séropositives, entrouverte par la mobilisation massive des téléspectateurs, sera sacrifiée sur l’autel du pouvoir de l’argent et de la pipolisation au détriment du combat commun des malades et de ceux qui partagent leurs vies pour survivre au sida.
C’est depuis ce moment-là que le ruban rouge est devenu symbole de l’hypocrisie qui consiste à renvoyer les malades à leur clandestinité, à leurs difficultés, tout en se servant de leurs souffrances pour redorer son blason, sa notoriété, son image de marque.
Même si on a quelques bonnes raisons pour « brûler » le ruban rouge, c’est néanmoins le seul symbole reconnu partout pour évoquer le sida.
C’est pour cela que lorsque j’ai participé au lancement du site lemegalodon.net, avec pour objectif de dénoncer tous ces requins du sida, on a affublé ce fameux ruban avec des dents de requins.
d’une part, il s’agit d’affirmer que les séropositifs, premiers concernés de l’épidémie, sont capables de se défendre et de se faire entendre, donc de montrer leurs crocs ;
d’autre part, il s’agit de dénoncer les requins du sida qui se camouflent derrière le ruban rouge pour mieux se goinfrer sur le dos des malades.
Dans un prochain post, je raconterais comment les avocats de l’association Sidaction ont voulu faire croire qu’elle était propriétaire du ruban rouge…