Sur RTL mercredi soir, Pierre Bergé était introduit comme « un mécène », président du Sidaction, par Nicolas Poincaré.
J’ai relevé trois contre-vérités dans cet entretien.
Pierre Bergé : Nous, à Sidaction, nous sommes présents dans tous les pays africains, soit directement, soit indirectement, en tout cas dans tous sans aucune exception.
La plaquette Mieux connaître Sidaction montre une intervention de Sidaction dans 14 des 55 pays du continent africain. Prétendre que l’association, vus les faibles montants récoltés, agit concrètement sur tout le continent relèverait de la fabulation.
Pierre Bergé : « Aujourd’hui, le format adopté (…) est que chacun, à sa manière, toutes les chaînes et toutes les radios, parle du sida comme il le veut et quand il le veut. Et, après tout, ça donne des résultats aussi bien, et nous sommes aussi heureux comme ça. »
Dans les faits, les dons se sont effondrés dès 1996, comme en atteste cet article du Monde daté du 20 novembre 1996… Au point où, en 2007, dans un entretien avec Pierre Bergé réalisé par deux journalistes de Bakchich.info, il reconnait que l’opération « a besoin de soutien extérieur, il ne peut pas être viable. Il a absolument besoin de soutien extérieur. »
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— Ça rapporte combien, et ça permet de faire quoi, un Sidaction ?Pierre Bergé : « Ça ne rapporte pas assez. Mais heureusement que nous, de notre côté, par les mailings que nous envoyons, par les dons que nous reçevons, nous finissons par avoir un budget qui tient un peu la route. Mais il faut que vous sachiez bien, et c’est très important que chacun l’écoute et le comprenne, c’est que chaque don compte.
Effectivement, le gros de l’argent récolté par l’association n’est plus lié à l’opération de charité télévisée. Elle utilise aujourd’hui des outils classiques en multipliant les mailings et autres techniques de marketing. Pour autant, l’opération continue et ce sont les chaînes de télévision publiques (avec les autres médias partenaires) qui en assument les coûts indirects, sans pour autant avoir la preuve de son efficacité ou de son intérêt, que ce soit en terme d’argent récolté ou en terme d’impact sur les publics, notamment pour la prévention.
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Pierre Bergé : « Sidaction est quand même une association qui regroupe toutes les autres associations de lutte contre le sida, et qui partagent chaque euro strictement en deux. La moitié va à la recherche scientifique, l’autre moitié va à l’aide aux malades. »
Selon le rapport de l’IGAS, Sidaction consacre 36% des emplois de l’association aux frais de structure (dont 27% au titre des coûts directs d’appel à la générosité du public). C’est ce qui reste qui est ensuite partagé entre la recherche et les associations…
Selon l’IGAS, « Sidaction reste une association très fermée où les nouvelles adhésions ne peuvent intervenir qu’avec l’accord des 2/3 des membres », et l’Inspection souligne également que « le rôle premier que s’attribue l’association tend parfois à minimiser l’action menée par les autres organismes engagés dans la lutte contre le Sida »…
Même l’association AIDES s’est retirée du Conseil d’administration du Sidaction alors qu’elle en était membre fondatrice, et elle a même renoncé aux financements demandés à Sidaction en 2006.
L’agence de presse Reuters avait rapporté le 29 septembre 2008 : « Les recettes de la vente, estimées entre 200 et 300 millions d’euros, iront à la fondation que Pierre Bergé souhaite créer pour aider la recherche scientifique, notamment contre le sida » et l’AFP avait noté, le même jour : « Le produit de la vente ira à la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, créée en 2002, et à une Fondation que l’homme d’affaires compte lancer pour aider la recherche médicale sur le sida »…
Mise au point de l’intéressé :
— Sur la vente au Grand palais qui a rapporté 373 millions d’euros, quelle partie allez-vous consacrer au sida ?Pierre Bergé : « Je ne sais pas encore exactement quelle partie. Ce que je veut dire, pour être précis, c’est que la partie d’Yves Saint Laurent va aller à la Fondation Pierre Bergé Yves Saint Laurent. Quand à l’autre, celle qui me concerne, oui, en effet, je me suis engagé là-dessus, une partie, une partie pas négligeable va être consacrée et à la recherche scientifique, et particulièrement sur le sida, et à des actions caritatives. »
Le produit de cette vente est supérieur au montant total récolté en quinze ans par l’association Sidaction… En effet, en 2004, selon le dossier de presse de l’association, 123 millions d’euros avaient été collectés.
Ensuite, il faut tout de même relever que Bergé n’a pas confirmé qu’il lèguerait les produits de cette vente (sans oublier le reste de sa fortune) à l’association qu’il préside depuis 1996. Comment peut-il appeler le grand public à « appeler le 110 », alors que lui-même envisage de placer son argent ailleurs en créant une nouvelle fondation ?
On peut mieux saisir quelque chose ses motivations en lisant attentivement sa réponse à la question suivante :
— Vous voulez qu’on dise un jour, Pierre Bergé, par son argent, a permis de découvrir le vaccin contre le sida ?Pierre Bergé : Non, je ne veut pas du tout qu’on dise ça. Je ne veut pas du tout me servir du sida. Je veux servir le sida, la lutte contre le sida. Je ne veut pas m’en servir. C’est pas la même chose. Donc, si mon nom traîne quelque part un jour, pourquoi pas. Mais je n’en fais du tout, ni une obligation, ni même un rêve. Ça m’est égal. Vous savez, quand je me suis engagé dans cette lutte, il y a tout de même 25 ans de cela, le sida c’était une maladie particulière, bizarre, qui était réservée aux pédés, des tas de trucs de ce genre. On ne pouvait même pas serrer la main à quelqu’un qui avait le sida. C’était très, très compliqué, cette affaire. Donc moi je me suis engagé dans cette lutte pour plusieurs raisons. D’abord parce que j’avais des amis qui étaient touchés, et touchés de près puisqu’ils sont morts depuis, d’ailleurs. En plus, parce que je fais partie de cette minorité qui était plus touchée que d’autres, la minorité homosexuelle. Alors, il était tout à fait naturel pour moi d’entrer sur ce terrain. Alors, vous savez, quand vous me demandez si j’ai envie qu’un jour on dise que Pierre Bergé… Non ! Mais ce dont j’aurai envie, un jour, c’est que, si je peut le faire, qu’on puisse faire des avancées dans ce domaine-là, oui !
Pierre Bergé : « Tous ceux-là, ils espèrent, comme nous, qu’un jour le vaccin sera trouvé, et que ce sida sera une maladie dont on parlera comme ça, lointainement, comme de la peste aujourd’hui et du choléra. »
La recherche vaccinale est dans l’impasse, et les experts ont publiquement reconnus lors des dernières conférences internationales qu’un vaccin efficace reste une chimère. Le vrai débat se situe aujourd’hui sur l’intérêt préventif de la charge virale, en clair sur la possibilité d’utiliser les médicaments pour enrayer la poursuite de l’épidémie. Passer ce débat sous silence et fonder son espoir sur le vaccin est, au mieux, inexact.