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Le journalisme d'investigation : un esprit gratte-poil

8 janvier 2010 à 15h11
Rappel : simple outil du journalisme ou spécialité de quelques journalistes ? Le débat qui entoure la définition du journalisme d’investigation divise la profession. Important par son histoire, ses méthodes, et son impact sur la société, il reste peu pratiqué au sein des rédactions. Décryptage des aspects qui font de l’investigation un genre journalistique à part. Et une espèce en voie de disparition.

Plus que d’appliquer une simple méthode journalistique qui nécessite rigueur et patience, pratiquer l’investigation suppose également la mise en œuvre d’un état d’esprit particulier qui prend à rebrousse-poil celui des interlocuteurs rencontrés sur le terrain. En découle une grande méfiance des sources envers le journaliste toujours à l’affût de l’information compromettante. Envers son attitude gratte-poil. « Enquêter, c’est mettre en pratique un état d’esprit », décrit Vincent Nouzille, journaliste indépendant et ex-collaborateur de Bakchich [1]. « Les journaux n’incitent pas forcément leurs journalistes à creuser un sujet parce qu’ils n’ont pas cette culture ».

Spécialiste des affaires de grand banditisme, de blanchiment d’argent, et de trafic de drogues, le journaliste Frédéric Ploquin, de l’hebdomadaire Marianne, déplore que ce qu’il qualifie de « qualité » ne soit pas généralisé dans toute la profession. « Les journalistes cantonnent les investigateurs à des domaines spécifiques pour leurs penchants pour les sujets dits « pas propres ». Je revendique de faire des trucs « pas propres », de toucher à la lie du fait-divers, de m’intéresser à l’argent des hommes politiques plutôt qu’à leurs idées, même s’il faut faire les deux », explique-t-il. « On dirait qu’il n’y a que le journaliste d’investigation qui est censé vérifier trois fois son information. Pour beaucoup de gens, c’est la notion de scandale qui détermine le journalisme d’investigation » [2].

Outil essentiel du journalisme, l’investigation l’est donc incontestablement. Les différents visages de cette méthode rigoureuse, utilisée dans divers domaines par les journalistes pour approfondir des sujets rarement ou mal traités le prouvent. Toutefois, le journalisme d’investigation peut également être perçu par la profession à travers un angle de vue plus particulier, comme « un accident de l’histoire », ainsi que le souligne Laurent Valdiguié, rédacteur en chef du service « Investigation » de l’hebdomadaire Le Journal Du Dimanche [3]. Celui des affaires qui, entre 1980 et 2000 dans les médias, ont secoué la France et le journalisme.

Deux décennies d’« affaires »

Évoquer le journalisme d’investigation, c’est également s’aventurer sur les sentiers de l’histoire politique française qui, entre 1980 et le début du second millénaire, a été frappée de plein fouet par une vague de scandales politico-financiers qui ont fait les beaux jours de la presse. « La France était en période de cohabitation et la gauche réglait ses comptes », analyse Karl Laske, journaliste au service «  société  » du quotidien Libération. «  Les combats politiques étaient accrus. Tout cela a favorisé l’émergence d’affaires » [4].

Confrontée à la malhonnêteté de ses dirigeants politiques et de ses chefs d’entreprises au début des années 80, la presse hexagonale a utilisé le journalisme d’enquête et ses rouages pour mettre à jour les magouilles financières qui s’opéraient en coulisses entre ces différents protagonistes. Devant l’avalanche des dossiers mettant en cause les personnages les plus haut-placés de l’Etat, les journaux ont mobilisé certains de leurs journalistes pour traiter exclusivement des affaires dites « sensibles », créant ainsi indirectement une nouvelle rubrique dans leurs publications et une « caste » de journalistes spécialisés au sein de la profession.

Si la diminution des « affaires » au début des années 2000 a fait que l’ampleur du phénomène est aujourd’hui moins importante, cette petite frange de journalistes spécialisés - certains d’entre eux désormais délégués à d’autres tâches au sein des rédactions - réapparaît lorsqu’un événement tel l’affaire Clearstream émerge de la classe politique. Pour désigner ces experts des dossiers « sensibles  », la profession n’emploie cette fois qu’une seule terminologie : « les journalistes d’investigation ». Si parler de journalisme d’ « enquête » ou d’«  investigation  » désigne cette méthode d’approfondissement de l’information, on ne parlera que de « journalisme d’investigation » pour caractériser cette période de l’histoire de la presse.

« Aujourd’hui, ceux qui entrent dans la catégorie des journalistes d’investigation sont des journalistes qui, pour l’essentiel, suivent les dossiers ou les affaires dites sensibles, c’est-à-dire qui peuvent remettre en cause une personnalité ou l’équilibre de l’Etat. Il n’y en a pas beaucoup, peut-être plusieurs dizaines en France. C’est donc une petite catégorie », précise Fabrice Lhomme, journaliste au service « Enquêtes » du site d’information Mediapart [5]. Pour Laurent Joffrin, directeur du quotidien Libération, le journaliste d’investigation ne doit cependant pas être confondu avec le rubricard judiciaire, dont le théâtre est exclusivement celui du tribunal. « Dans le langage courant, l’enquête caractérise le travail des journalistes qui s’occupent des affaires, et qui ont de facto des liens avec les organes policiers ou judiciaires, au sein desquels ils possèdent des sources. Ils s’occupent de tout ce qui va déboucher sur une affaire judiciaire. À ne pas confondre avec le journaliste judiciaire, qui suit les procès. Les journalistes d’investigation agissent en amont des procès, en révélant des informations illégales » [6].

Épisode 3/8

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Lire ou relire sur Bakchich.info les épisodes précédents du blog de Benoit Pavan :

Rappel : simple outil du journalisme ou spécialité de quelques journalistes ? Le débat qui entoure la définition du journalisme d’investigation divise la profession. Important par son histoire, ses méthodes, et son impact sur la société, il reste peu (…)
Simple outil du journalisme ou spécialité de quelques journalistes ? Le débat qui entoure la définition du journalisme d’investigation divise la profession. Important par son histoire, ses méthodes, et son impact sur la société, il reste peu pratiqué (…)

Voir aussi le blog professionnel de Benoit Pavan : http://benoitpavan.wordpress.com/

Le carnet d’adresses des journalistes d’investigation Le journalisme d’investigation : comment ça marche ?

Notes

[1] Propos recueillis le 21 avril 2008 à Paris.

[2] Propos recueillis le 23 avril 2008 à Paris, dans les locaux de Marianne.

[3] Propos recueillis le 23 avril 2008 à Paris, dans les locaux de Paris Match.

[4] Propos recueillis le 29 avril 2008 à Paris, dans les locaux de Libération.

[5] Propos recueillis le 22 avril 2008 à Paris.

[6] Propos recueillis le 17 avril 2008 à Paris, dans les locaux de Libération.

2 Messages de forum

  • Merci pour ces articles sur le journalisme ! J’espère que d’autres suivront. Pourquoi pas des portraits de journalistes qui ont marqué le métier, en france comme ailleurs. Les avancées. Histoire de rafraîchir la mémoire et (re-)motiver les vieux routards et les plus jeunes d’entre vous !
    • Bonjour, juste pour vous signaler la création et l’existence d’espaces dédiés aux CLP (Correspondant(e)s Loca(les)ux de Presse). Et plus précisément aux faux CLP/vrais journalistes.

      De quoi établir une véritable enquête sur les dessous d’en dessous du bas de la PQR. Écarts et abus qui jamais ne sont évidemment dénoncés les coupables étant au contrôle de l’info.

      Ce sont des lieux ressources mais également d’échange où les CLP peuvent confronter leurs expériences.

      Facebook : Corres Pondant

      Viadeo : Corres Pqr Forum Viadeo : Correspondant Journaliste Local de Presse

      Site : http://corres72.hautetfort.com/

      Cordialement CLPQR.