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Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit
Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit

Gratte poil

1er décembre 2010 à 11h59
« Le jounalisme d’investigation n’existe plus. C’est fou que vous vous y intéressiez. »

Difficile d’imaginer qu’il en sera autrement. À la lecture de ce travail, nombreux seront les journalistes qui pointeront ses failles et stigmatiseront ses lacunes. Je les entends d’ici rouspéter parce qu’une idée va à l’encontre de ce qu’ils supposent être le droit chemin. Parce qu’un argument remet en cause leur vision de la profession. À l’inverse, ceux qui applaudiront ne seront que quelques-uns. Qu’importe ! Les interviews menées sur le terrain pour le réaliser avaient annoncé la couleur : le sujet dérange.

Au cours des quelques semaines passées à patauger dans la marmite de l’investigation, une chose a frappé l’esprit du journaliste débutant que je suis : le journalisme d’investigation contrarie autant les journalistes et la profession que ceux qu’il incrimine. Tous, sauf peut-être ceux qui le pratiquent. Pourquoi ? Certainement parce qu’ils sont peu, malgré son importance, à lui donner la priorité. À privilégier ses règles de rigueur, ces principes qui doivent être ceux de tout journaliste. Rien qu’à l’évoquer, le sujet refile des boutons à certains patrons de presse et irrite les « gratte-papier » qui ont succombé aux sirènes des communiqués de presse.

Ainsi, le chemin vers le bouclage de ce dossier fut long et tortueux. Il fallut d’abord encaisser toute sorte de remarques, plus déroutantes les unes que les autres. Extrait : « Le journalisme d’investigation n’existe plus, c’est fou que vous vous y intéressiez ».

La cause de cette réticence est simple : les journalistes, si prompts à mettre leur nez dans les histoires des autres, n’aiment pas parler d’eux-même. D’ailleurs, il suffisait d’évoquer l’objet du travail à mon interlocuteur pour voir son visage se transformer. Et la boîte mail de se remplir de réprimandes. Il y eut surtout les reproches concernant l’approfondissement d’un thème que beaucoup, dans les rédactions, n’osent pas aborder. « Trop polémique  », nous rétorque-t-on la plupart du temps. « Trop osé ». Le journalisme d’investigation dérange et divise. Jusque dans son propre camp.

Avant de pénétrer le monde des « investigateurs », on s’imagine une jungle semée d’embûches où le moindre bout de chair fraîche donne lieu à de rudes affrontements entre prédateurs. L’image est certes grossière, mais reflète le milieu. Parmi ceux que l’on peut classer dans la caste des « enquêteurs », très peu acceptent de partager leurs secrets. Logique, puisqu’ils appartiennent à des entreprises de presse en concurrence. Beaucoup, d’ailleurs, ne s’apprécient pas. Certains vont même jusqu’à mettre des bâtons dans les roues. À se tirer dans les pattes. On devine ainsi l’importance du carnet d’adresses. Et le pouvoir que peut détenir celui qui, pour une affaire donnée, est le seul à avoir accès à la source que tout le monde s’arrache. Alors, forcément, la compétition est inévitable. Alors forcément, vitesse et prises de risques viennent se mêler au jeu. Elles occasionnent parfois des erreurs.

Drôles de zigotos, ces journalistes d’investigation. Ils sont peu nombreux. Tous ont un parcours différent, une manière de travailler et une vision du métier qui leur est propre. Mais tous ont un point commun. Ce goût prononcé pour la chasse à l’information exclusive, compromettante. Être journaliste d’investigation, c’est posséder un état d’esprit que beaucoup de journalistes n’ont pas. C’est être entêté. C’est être patient et méticuleux. C’est vivre pour l’enquête. Aujourd’hui, ce goût de la révélation ne court plus les rédactions. Pour le journaliste lambda, il faut cracher les quelques feuillets commandés le plus vite possible. Au grand détriment de la vérification. Alors parfois, là aussi, il y a des couacs.

Dans les journaux, magazines, et chaînes de télévision, partout, ce sont les mêmes mots aguicheurs qui s’affichent : « révélations », « enquête ». Pour tout et n’importe quoi, on fait passer l’information la plus insignifiante pour un scoop d’envergure. Si les journalistes d’investigation ont quasiment disparu des entreprises de presse, ces dernières continuent d’utiliser les termes qui se rapportent au genre pour vendre les sujets les plus improbables. Autre chose. Les interviews menées pour réaliser ce travail ont nettement mis en exergue qu’il n’y a pas de place pour l’objectivité lorsqu’il s’agit d’aborder ce qu’est le journalisme d’investigation. Chacun son opinion et aucun consensus. Les journalistes qui considèrent l’investigation comme la base de la profession rappelleront qu’il en est de même pour le journalisme tout court.

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Lire ou relire sur Bakchich.info l’épisode précédent du blog de Benoit Pavan :

Qu’est-ce que l’investigation journalistique ? Comment a-t-elle évolué, comment s’exerce-t-elle à l’heure actuelle et quel est son avenir ? Neuf journalistes qui ont mis les pieds dans le grand bain de l’enquête nous éclairent sur ce genre à part du (…)

Voir aussi le blog professionnel de Benoit Pavan : http://benoitpavan.wordpress.com/

Les « affaires »