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Le journalisme d'investigation : comment ça marche ?

31 décembre 2009 à 16h03
Rappel : simple outil du journalisme ou spécialité de quelques journalistes ? Le débat qui entoure la définition du journalisme d’investigation divise la profession. Important par son histoire, ses méthodes, et son impact sur la société, il reste peu pratiqué au sein des rédactions. Décryptage des aspects qui font de l’investigation un genre journalistique à part. Et une espèce en voie de disparition.

Prolongement naturel des techniques de base employées au quotidien dans le reportage par tous les journalistes, les méthodes utilisées lors des enquêtes journalistiques diffèrent néanmoins sur plusieurs points. Par leur but, tout d’abord, le reportage présentant la description objective de faits précis dont le journaliste a été le témoin. De son côté, l’investigation caractérise la révélation d’informations le plus souvent dissimulées et qui touchent à un sujet dit « sensible » ou qui contient encore quelques parts d’ombre [1] . Autre différence notable  : contrairement au reportage, l’information issue de l’investigation est exclusive. Sa publication n’est possible qu’à partir du moment où sa véracité et sa cohérence ont été vérifiées par le journaliste par recoupement avec plusieurs sources. Plus descriptif, le reportage peut se contenter de croire en la bonne foi de ses sources [2]. La recherche est également une part essentielle du travail d’investigation. Elle peut demander des mois, voire, pour certaines enquêtes, des années. Cette notion de temps de recherche est moins essentielle au reportage, qui s’attache à décrire une réalité vécue sur le terrain. Ainsi, il peut donc être très bref dans sa réalisation [3]. Enfin, les sources contactées lors de l’enquête sont indépendantes des sources officielles, dont les propos doivent être pris avec prudence tant leur intérêt à manipuler l’information ou à la cacher peut être important [4].

La quête du secret

Aller sur le terrain pour vérifier une information. La recouper, encore et encore, auprès de plusieurs sources, jusqu’à être certain de sa fiabilité. Tel est donc l’objectif du travail d’investigation, dont le principal bénéficiaire est le lecteur. S’il se doit d’éclairer le public sur une problématique qui le touche directement, le travail d’enquête opéré par le journaliste doit également aller plus loin dans sa démarche démocratique en répondant à des « questions importantes sur lesquelles des personnes ou des organisations souhaitent garder le secret » [5]. Voir de l’autre côté de l’annonce officielle, révéler les informations cachées, aller voir au-delà du communiqué de presse : dénoncer le secret est l’un des points essentiels du journalisme d’investigation. Que le secret soit polémique ou pas. Qu’il dérange ou qu’il arrange. La notion de secret occupe une place importante aux yeux de la corporation au moment de définir le genre, puisque près de la moitié des journalistes interrogés lors de notre sondage considèrent avant tout que le journalisme d’investigation « traite les faits dont la collecte peut-être entravée par des tiers intéressés à leur non-divulgation, ou dont le sujet étudié réclame un travail de recoupement long et complexe » (voir Figure 3).

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L’investigation suppose ainsi un long et important travail de vérification, de recoupement des informations fournies par un réseau stratégique de contacts, dans un but ultime de recherche de vérité et d’information du lecteur. Une caractéristique qui incite une grande majorité des journalistes à la comparer à un véritable outil de contre-pouvoir, reléguant ainsi le dossier de presse à la poubelle (voir Figure 4). Pointure journalistique de l’investigation à la télévision et ancien artificier de l’émission 90 Minutes, magazine d’enquête à succès qui a fait la renommée de Canal + en matière d’investigation de 2000 à 2006, Paul Moreira fait partie ceux qui définissent l’enquête comme un outil de contre-pouvoir. «  [L’investigation], c’est un journalisme de combat qui ne se contente pas de décrire, mais aussi d’interpeler. Un journalisme qui ne craint pas de choisir ses causes et qui doit rester un des outils de contre-pouvoir de la société » [6].

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Professeur à l’université américaine de Rutgers et spécialiste des médias, Silvio Waisbord argumente également en ce sens, ajoutant que c’est dans le domaine politique que l’enquête peut jouer un rôle majeur de « quatrième pouvoir  ». Il précise que « cette forme de journalisme se caractérise par son objectif, qui est de dénoncer les abus et les atteintes à l’intérêt public ». Le journalisme d’investigation doit son importance « au fait qu’il peut contribuer à la gestion démocratique des affaires publiques » [7]. Dévoiler les secrets et jouer les « chiens de garde » de la démocratie. Ces caractéristiques du mythe qui colle à la peau du journalisme d’investigation ont toutefois pris du plomb dans l’aile depuis plusieurs années. Dans un sondage publié le 24 janvier 2001 dans Télérama, les Français font même de l’investigation l’une des causes premières de méfiance envers les médias en général [8]. Pour Mark Hunter, ancien journaliste américain et Docteur en sciences de l’information de l’université de Paris II, il faut comprendre cette vision démocratique de l’investigation de la part des journalistes « comme l’incitation à une conception plus noble du métier et non comme une description exacte de la réalité » [9].

Épisode 2/8

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Le sondage :

L’outil permettant l’enquête d’opinion est un questionnaire qualitatif réalisé à l’aide du site en ligne Sharing-data, spécialisé dans la création de questionnaires ou d’enquêtes sur internet.

Il a été envoyé à 1100 adresses électroniques de journalistes recrutés dans des fichiers de contacts de journalistes en exercice, du Club de la Presse de Lyon, du fichier Rhône du Syndicat National des Journalistes (SNJ), et de divers annuaires consultables sur internet.

Pour obtenir un taux de réponses de 10% (soit 110 répondants), il a été nécessaire d’effectuer cinq relances. Les données ont été analysées par Nicolas Pinsault, Unité Mixte de Recherche CNRS Université Joseph Fourier UMR 5525, Grenoble.

Le genre et le statut des journalistes ayant répondu ont été comparés avec les données datant du 2 janvier 2008, présentées par la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels (CCIJP).

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Lire ou relire sur Bakchich.info l’épisode précédent du blog de Benoit Pavan :

Simple outil du journalisme ou spécialité de quelques journalistes ? Le débat qui entoure la définition du journalisme d’investigation divise la profession. Important par son histoire, ses méthodes, et son impact sur la société, il reste peu pratiqué (…)

Voir aussi le blog professionnel de Benoit Pavan : http://benoitpavan.wordpress.com/

Le journalisme d’investigation : un esprit gratte-poil L’investigation, la pépite menacée du journalisme

Notes

[1] Hunter, Mark, Le journalisme d’investigation aux états-Unis et en France, Collection Que sais-je ?, Presses Universitaires de France, Juin 1997, p. 123-125.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Hunter, Mark, Le journalisme d’investigation aux états-Unis et en France, Collection Que sais-je ?, Presses Universitaires de France, Juin 1997, p. 4.

[6] (8) Psenny, Daniel, et Constant, Alain, Le retour de l’investigation, Le Monde, 3 janvier 2000, et Psenny, Daniel, Le « Che » de l’info, Le Monde, 26 mars 2001.

[7] Waisbord, Silvio, Le journalisme d’investigation est nécessaire aux démocraties, Les médias et la déontologie, Dossiers mondiaux - Revue électronique, Département d’État des États-Unis - Bureau des programmes d’information internationale, Avril 2001.

[8] Brocard, Véronique, La presse débordée par les affaires, Télérama, 24 janvier 2001.

[9] Hunter, Mark, Le journalisme d’investigation aux états-Unis et en France, Collection Que sais-je ?, Presses Universitaires de France, Juin 1997, p. 6.

2 Messages de forum

  • Le journalisme d’investigation : comment ça marche ?

    11 janvier 2010 19:18, par Alain Hamon
    "Enfin, les sources contactées lors de l’enquête sont indépendantes des sources officielles, dont les propos doivent être pris avec prudence tant leur intérêt à manipuler l’information ou à la cacher peut être important"… Pardon, cher et honorable confrère ? Alors ainsi, les sources des "investigateurs" seraient "indépendantes des sources officielles" ? C’est quoi, un flic qui balance une BONNE info, VERIDIQUE, EXCLUSIVE, sur un dossier SENSIBLE, parce qu’il se venge de son commissaire qui l’en a écarté, c’est une "source indépendante" ? Non, c’est une source officielle qui décide de franchir la ligne jaune par intérêt personnel et à condition qu’on ne le cite pas. C’est quoi, un avocat qui ouvre un dossier parce que cela peut servir son client ( ou son cabinet ) ? Une source indépendante ? Non, une source intéressée. Un magistrat qui s’arrange avec le secret de l’enquête, histoire d’enfoncer un prévenu avant que le dossier se révèle plus léger que ce que l’on dit, indépendant ? Non, une source qui manipule un investigateur. Car toutes ces infos résisteront aux recoupements. Ce ne sont pas elles qui sont viciées, mais ceux qui les lâchent et leurs raisons. Une des seules questions qui vaille, à mes yeux, c’est : combien de "journalistes d’investigation" ne sont pas tombés dans ce genre de panneaux… ? Et on peut multiplier ces exemples par autant de rubriques où l’enquête peut intervenir. Et elles sont nombreuses car, comme le dit Claude Angéli, l’enquête c’est ( ce devrait) tout de même être le quotidien de bcp de journalistes… Allez… dans notre pays, ce ne sont pas les Watergate qui manquent, juste les Washington Post. Bien à vous, Alain Hamon ( 22 ans reporter et grand reporter enquêteur à RTL et encore aujourd’hui, à la tête de sa propre agence).