Tribunal de Bobigny, comparutions immédiates du lundi 16 mars
Le 1er mars à 16h20, un homme à la peau noire, au bouc parfaitement taillé, et à la chemise de sport orange, débarque à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. A part un vieux sac avec quelques effets personnels, ce voyageur n’a rien : pas de billet d’avion, pas de Passeport, pas de pièce d’identité. Il se présente aux autorités françaises et dit « ne pas se souvenir de la provenance de son avion ». Il s’appellerait Anthony. Il aurait 30 ans. Et il serait né au Soudan. Pour le reste : rien.
Lors de sa comparution, Anthony est assisté d’un interprète anglais : « On parle l’Arabe monsieur au Soudan, remarque le Président. Comment se fait-il que vous soyez anglophone ? » D’un anglais approximatif, Anthony explique : « Yes, most people speak arabic in Soudan, but I speak english… » L’interprète traduit : « La plupart des Soudanais parlent l’Arabe effectivement, mais dans sa famille, ils ont toujours parlé l’anglais. Il comprend quelques mots d’Arabe, mais il ne le parle pas ». Le Président : « Vous avez pu prendre l’avion comme ça, les mains dans les poches ? » Antony hoche la tête : « Pas de passeport, pas de billet, on ne lui a rien demandé », traduit l’interprète.
Le tribunal revient sur le parcours d’Anthony depuis qu’il a atterri à Paris. Sa demande d’asile rejetée, il est placé et maintenu en zone d’attente pour investigation. Le 12 mars, Anthony est entendu sur sa nationalité – le Président en lit les grandes lignes : « Vous dites être Soudanais… mais vous ne parlez pas l’Arabe. Vous dîtes ne jamais avoir été à l’école au Soudan parce que votre famille était très pauvre, ce qui expliquerait que vous ne connaissez pas l’hymne du Soudan, que vous ne pouvez citer aucune des fêtes nationales, que vous ne connaissez pas non plus le nom de la capitale. Vous dites par contre que le climat au Soudan est aride ». Le prévenu acquiesce. Rien ne transparaît de lui. Aucune émotion.
Après la zone d’attente, Anthony est présenté à un juge des libertés et de la détention qui le place en garde-à-vue où il est de nouveau entendu : là encore, il maintient sa version. « Vous devez au moins savoir dans quel aéroport vous avez embarqué ? », questionne de nouveau le Président, incrédule. « Non, répond Anthony. Il était 4 heures du matin, il faisait nuit et je n’ai pas pu voir d’où je décollais ». Il dit avoir un frère en Belgique, une épouse de 26 ans et deux enfants restés au Soudan : « Il ne sait pas où ils se trouvent, traduit l’interprète. Ils ont tous fuis les conflits du Darfour et il n’a plus de nouvelles de ses proches depuis leur fuite ». Contactée, l’ambassade du Soudan dit n’avoir aucune trace du prévenu dans ses fichiers. Le Président souffle, l’air de regretter : « L’enquête n’a rien pu vérifier ».
« Nous avons-là une pratique qui se répand de plus en plus, s’emporte le Procureur. On arrive à Roissy les mains dans les poches, on se présente à la Police, on déclare que l’on vient d’un pays en guerre, mais sans renseignement précis pour vérifier ces dires – et on demande l’asile politique ! Le but de l’astuce est évidemment d’éviter l’expulsion : où renvoyer ces hommes ? Monsieur vient manifestement d’un pays africain anglophone. Pour que son scénario tienne la route, le minimum serait au moins de parler la langue du pays dont il dit venir ! » Le procureur requiert trois mois avec mandat de dépôt : « Ce temps de prison ferme nous permettra peut-être d’obtenir de lui des éléments sur ses origines ».
Le Jugement. Trois mois de prison ferme avec mandat de dépôt et interdiction du territoire français