Mardi 3 mars, 14e chambre correctionnelle du TGI de Nanterre
Etienne, timide et gringalet jeune homme de 19 ans, s’est passionnément entiché d’une jeune policière qu’il ne connaît pourtant pas – qu’il n’a même jamais croisé. La fonctionnaire, appelons-là Sophie, est une ancienne camarade de classe de la sœur d’Etienne et les deux jeunes femmes se sont virtuellement retrouvées sur « Copains d’Avant », fameux site de discussion entre ex-camarades de classe. « J’ai vu sa photo sur l’ordinateur de ma sœur et j’ai tout de suite été séduit, raconte le prévenu, c’est en étudiant son profil que j’ai su où elle travaillait ».
La jeune gardienne de la Paix travaille au commissariat de Bezons dans les Hauts-de-Seine. Trop introverti pour l’aborder directement, l’étudiant ne souhaite pas non plus la contacter via le site Internet : « C’est trop virtuel et j’avais peur de me perdre dans l’océan Internet – alors j’ai réfléchi à un autre moyen ».
Pour décrocher son tête-à-tête, Etienne s’improvise faussaire. Aidé d’un logiciel de traitement de texte et d’images, il se fabrique une convocation du Ministère de l’Intérieur l’appelant à se rendre immédiatement au commissariat de Bezons, où il espère être auditionné par Sophie. Muni de son assignation, le prévenu se rend en mai 2008 au commissariat où les policiers qui l’accueillent ne retrouvent évidemment aucune trace de cette missive dans leur base de données. Etienne repart bredouille. Sans avoir vu la policière.
Quinze jours plus tard, le prévenu revient muni d’un deuxième faux – et dit ne pas comprendre « pourquoi le commissariat s’obstine à le convoquer ainsi ». Les policiers étudient la lettre de près et remarquent alors plusieurs malfaçons : la Marianne habituelle n’apparaît pas, les tournures de phrases ne correspondent pas à la classique convocation et le numéro de poste de la fonctionnaire Sophie n’est pas le bon. « Les policiers du commissariat vous demandent alors de leur laisser vos coordonnées en attendant d’effectuer les recherches nécessaires pour éclaircir ce curieux mystère, expose le Président. C’est là qu’ils réalisent que votre écriture, Monsieur, correspond à celle de la partie manuscrite du faux document ».
Etienne est arrêté et placé en garde-à-vue. Par « honte », il n’ose avouer aux policiers les raisons de son geste et ceux-ci « imaginent tout ». Une enquête de voisinage est ordonnée pour tenter de comprendre pourquoi ce jeune homme sans casier, jamais signalisé à la police et parfaitement intégré, s’est rendu coupable de « faux et usage de faux » pour le simple plaisir d’être convoqué au commissariat. Son père, sa mère et sa sœur sont auditionnés, sans succès. C’est lors de sa toute dernière audition qu’Etienne avoue enfin la raison de son geste : l’amour.
Après la garde-à-vue de 24 heures, les policiers sont obligés de transmettre le dossier au Parquet de Nanterre. Loin d’être attendri par cette affaire, le Procureur décide de le poursuivre en médiation pénale pour « faux et usage de faux documents administratifs ». Sur le papier, l’amoureux transit risque cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. À l’audience, le Procureur requiert 120 heures de Travail d’Intérêt Général : « S’il est capable d’aller jusque-là par amour, on peut imaginer qu’il est capable de beaucoup de choses ».
Pour la défense, Maître Sandrine Pegand met en avant « l’aveuglement amoureux d’un jeune homme timide et inconscient » et demande « un simple rappel à la loi » : « Jusqu’à ce jour, il n’avait aucune mention au casier et les conséquences de son geste ont été telles que, croyez-moi Monsieur le Président, mon client a sérieusement assimilé la leçon ».
Le jugement : un « rappel à la loi » pour qu’Etienne prenne conscience de l’infraction commise. Parce qu’il ne constitue pas une condamnation, ce jugement ne sera pas mentionné sur son casier judiciaire.