Le 1er avril 1999, j’ai participé à l’occupation du Centre médical du Moulin-Joly de la Croix-Rouge Française.
Il s’agit d’un centre, dirigé par le docteur Marc Bary, spécialisé dans l’accueil des toxicomanes précaires « de la rue », le plus souvent des mecs d’origine maghrébine.
Ce n’était pas un poisson d’avril, car l’objectif était de dénoncer certaines pratiques de ce centre, et de s’opposer aux désengagement de l’État qui renvoyait déjà les plus malades et les plus pauvres dans les circuits caritatifs, alors que l’hôpital public doit soigner tout le monde.
L’occupation, non-violente, s’était soldée par une sortie sans contrôle d’identité ni garde à vue, après avoir rencontré Philippe Lefevbre, délégué de la Croix-Rouge, qui était jusqu’alors injoignable.
C’est en décembre 1999 que je convaincrais la DASS de Paris d’ouvrir une enquête administrative et de bloquer les subventions du centre. La Croix-Rouge déposera, quelques jours plus tard, une série de plaintes contre moi, avec des chefs d’inculpation allant de « violence en réunion avec arme » à « violation de domicile, vol et dégradations ».
Tout était faux.
L’ironie de l’histoire sera que Sidaction avait refusé de bloquer les subventions promises au Centre, après que Philippe Mangeot d’Act Up Paris ait renié son engagement de demander ce blocage, alors que la DASS, elle, tiendra ses promesses. Il faut dire que Marc Gentilini, patron de la Croix-Rouge, siégait alors au Conseil d’administration de l’association, aux côtés de Pierre Bergé, président de l’association depuis 1996.
Entre temps, j’avais réalisé ma propre enquête sur les pratiques du Centre, et c’est grâce au site Internet de l’émission de radio Survivre au sida que la campagne menée trouvera des relais et des soutiens.
Cette histoire traînera en instruction pendant près de cinq ans, pour déboucher enfin, en appel, sur une relaxe pure et simple, après avoir été condamné en première instance à 10000 euros d’amende et quatre mois de prison !
Dans son jugement, le tribunal non seulement infirme la décision des premiers juges, mais déclare « certains motifs » « inappropriés ».
En effet, lors du procès en première instance, les juges avaient refusé d’entendre les témoins, le président avaient publiquement déploré la présence des journalistes, les juges avaient parlé de « sidaïques » après m’avoir traité d’« humanitaire auto-proclamé… sans légitimité démontrée » alors que, pour eux, l’action caritative de la Croix-Rouge était « notoirement incontestable ».
Si cette première condamnation avait été confirmée, cela aurait été la première fois depuis les années soixante-dix qu’une occupation militante aurait été ainsi criminalisée.
À l’époque, Marc Gentilini, président de la Croix-Rouge, avait également attaqué pour diffamation les copains du journal CQFD, issu du mouvement des chômeurs des années quatre-vingt-dix, alors que le mouvement des sans papiers et leurs soutiens dénoncaient la gestion du centre de la Croix-Rouge à Sangatte.
En 1999, je partais perdant face à Marc Gentilini, un proche de Bernadette Chirac, et la Croix-Rouge, tout comme demain le rapport de force semble démesuré face à Pierre Bergé et son association, défendus par le cabinet de Jean-Pierre Mignard, proche de François Hollande et Ségolène Royal, dont Bergé est le président du comité de soutien et principal financier.
Alors, quel rapport entre les deux procès ? Une fois de plus, deux logiques s’opposent : celle de la charité (que ce soit l’humanitaire de la Croix-Rouge ou la télévisée du Sidaction) à celle de la solidarité. Sauf que cette fois-ci le visage de cette charité bien ordonnée est celle d’un milliardaire « de gauche » et non pas celle d’une figure de la droite la plus austère…