C’est un scandale qui date de la même époque que celui du sang contaminé, mais qui n’a jamais été portée véritablement sur la place publique.
Ses responsables ? Des hauts fonctionnaires, des élux locaux et nationaux, des médecins de santé publique, et des psychiatres qui ont sciemment laissé faire l’épidémie du sida dans les cités maudites.
Au début des années quatre-vingt, l’héroïne — déjà présente et testée par quelques pionniers — inonde massivement les quartiers, suivie juste derrière par le virus du sida. La France sera le dernier pays d’Europe à autoriser la mise en vente libre des seringues, et ce retard, combiné à la prohibition des drogues, aura pour résulter de transformer la « génération beur » (on s’apprête à commémorer les 25 ans de la Marche pour l’Égalité et contre le Racisme) en génération sacrifiée.
En 1995, je faisais de la radio sur plein de sujets, j’ai fait une émission sur « les Maghrébins de France face au sida ». Il y avait des gens en lutte pour survivre au sida, je n’étais pas seul à constater qu’en dépit des milliers de contaminations en surnombre, d’une vague de la mort parmi les immigrés et leurs enfants, du côté des associations classiques issues du mouvement homosexuel et des pouvoirs publics, c’était un grand tabou. Comme s’il y avait un « bon » sida (celui des intellectuels et du showbiz, celui du Sidaction) et un « mauvais » sida, un sida des riches et un sida des pauvres… Déjà, je n’arrivais pas à comprendre ce déni, qu’il soit officiel ou associatif.
Les gens qui m’ont appris ce que je sais sur ce qui s’est passé pendant les années heroïne-sida se comptent sur les doigts d’une main, c’étaient des anciens de l’immigration, des rescapés du sida, écorchés vifs et insoumis jusqu’à la mort. Il y avait encore des réseaux informels d’entraide et de survie entre galériens, c’est grâce à ceux-ci que les gens tenaient le coup. La génération de cette première épidémie du sida, c’est la même que celle que le miterrandisme a voulu écraser en fabriquant SOS Racisme (avec, déjà, l’argent de Pierre Bergé), pour anéantir l’espoir né de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, des mobilisations contre les crimes racistes et sécuritaires, de l’expression culturelle de la jeunesse ouvrière immigrée…
J’ai compris que dans les quartiers il y a eu successivement l’arrivée de l’héroïne, dans une période de prohibition du matériel d’injection, puis celle du sida. Des milliers de personnes sont morts dans cette période, alors que leur contamination était parfaitement évitable.
Dans les cités, le virus du sida a marqué toute une génération, sacrifiée à la seringue, à la prison, à la Double Peine.
Après des années de laissez-faire des pouvoirs publics, un sur dix contaminés a survécu.
Si, vingt ans après leur mise en vente libre bien tardive, les contaminations par le partage de seringues sont devenues rares, une nouvelle génération risque gros face au sida et aux hépatites.
Pour que l’histoire ne se répète pas, j’organise ce vendredi avec le Comité des familles la conférence de presse « Génération sacrifiée en banlieue, 20 ans après » pour donner la parole vendredi 28 novembre 2008 à 11 heures à des survivants et combattants des années héroïne-sida, et pour annoncer le 4ème Méga Couscous des familles, grand repas de solidarité pour fêter notre résistance face à l’injustice de la maladie.
Si vous avez un lien avec cette histoire, n’hésitez pas à me contacter pour assister et/ou participer à cette conférence vendredi. Toutes les personnes qui souhaitent en savoir plus seront les bienvenus vendredi.