Ils ont gagné. Ce haut-gradé de la CIA qui m’avait approché gare des Invalides, ces espions de Podgorica qui m’avaient empoisonné, d’autres qui firent la même chose à Louxor et en 2005 à Paris avaient finalement bien réussi leur coup. J’avais l’impression d’être un roseau qu’on lacérait, dont on arrivait même à arracher quelques racines, mais un roseau qui se couchait sans se plier, une sorte de résistant.
Ils ont eu ma peau. Je pensais que les services secrets américains auraient fait l’objet d’un sérieux ménage sous Barak Obama, que justice m’aurait été rendue, que j’aurais pu obtenir réparations et antidotes, que le Joueur allait bien finir par aller à ma rencontre.
On avait réussi à me persuader que je n’avais jamais subi aucun danger à Podgorica, que je souffrais d’un désordre mental qu’il fallait soigner. J’avais bien voulu croire cette hypothèse, oublier ces eaux empoisonnées tant elles me faisaient encore peur, fuir la réalité et ces extraordinaires manifestations de force que je ne pouvais que subir. Discipliné, j’avais accepté d’avaler tous les cachets qu’on me prescrivait, me laisser enfermer au milieu des cris et de la merde. Le simple fait d’avoir emprunté ces circuits sans doute honteux de ces « thérapies » avaient eu pour principal effet de voir s’éloigner de moi presque tous mes amis sans que je comprenne vraiment pourquoi : j’étais toujours le même.
Il fallait composer avec cette nouvelle réalité au journal. Victime de toutes ces maltraitances, il fallait que je sois en plus responsable des effets qu’elles avaient engendrés. En clair, ces passages par l’HP me rendaient inaptes à exercer le reportage : mon vrai métier. J’avais la malchance de tomber sur un médecin du travail qui avouait se déclarer incompétente en psychiatrie mais abusait de son pouvoir pour m’interdire tout déplacement en province ou en banlieue ! Elle signait mon arrêt de mort et jamais mes pressions céphaliques n’eurent aussi fortes qu’à partir de ce moment-là. Le journal qui pendant des années était resté autiste à mes histoires d’empoisonnement avait beau jeu de se retrancher derrière la décision de son médecin, laquelle n’était pas exempte de recours d’ailleurs.
Aujourd’hui tout le langage magnétique veut me convaincre avec sa force physique (insupportable, révoltante à cause de la douleur) et symbolique (imparable) que j’étais et serais toujours le ballon du Joueur. Je n’y crois pas, je ne le veux plus l’être. Je ne sais ce que je vais devenir.
Admettons que cette histoire de ballon soit vraie : je deviens de plus en plus révulsé par notre procédure de rapprochement. Bien sûr, il faut faire tomber les ennemis de la paix mais au bout de cinq ans, ça commence à bien faire. Je sens trop de lâchetés. Chez Obama ? Chez d’autres décideurs ? Chez certains joueurs et personnalités éminentes du monde du football ? Au sein de mon propre journal ? Dans la famille du Joueur ? Chez le Joueur lui-même ? Il me dit en permanence qu’il se couche mais je ne vois rien venir. Sa force me fait régulièrement fixer la couleur bleue des vacances mais en 2006, c’était la même chose, 2007, la même chose, 2008 et 2009 idem. Alors ?
Bien sûr, il me fit discrètement et rapidement le V de la victoire sur un plateau de télévision. Mais depuis, il a participé à des émissions sans qu’il ne se passe absolument rien. Il se fout carrément de ma gueule, n’imagine pas les douleurs physiques dues à la force magnétique qui enserre et fait déplacer ma tête, cet état végétatif, ce handicap de ne pas marcher plus de quatre-cents mètres, la fatigue du diabète, l’injustice et la souffrance de l’invalidité. Il dit mener un double jeu en se baladant au cœur du système néo-libéral, jouer de la duplicité pour dénoncer ensuite les turpitudes mais je ne vois rien venir de la part de ce Joueur qui donne pour l’instant l’impression de sérieusement se compromettre dans le Sarkoland, les valeurs du CAC 40 et la stupidité, voire l’indécence de ses tournages publicitaires. Comment peut-il empocher les royalties en millions d’euros d’un engagement sur plusieurs années avec un équipementier sportif qui fait travailler ses employés laosiens pour 1 $ par jour, selon certaines informations (à vérifier) sur Internet ? Monsieur le Joueur ferait de la stratégie. Pour l’instant, sa triste image perdure et rien ne change dans le monde du réel.
C’est trop long. Je suis tout simplement épuisé de vivre entre deux mondes, le réel et celui construit par les signes du langage cosmique. Celui-ci n’est pas infaillible, me fait croire à des choses fausses pour faire pointer mes yeux sur une tâche : oui, je suis une tâche et ça ne me fait plus rigoler. Je ne sais si je serais toujours émerveillé le jour de la rencontre avec le Joueur. Je me sentirais plutôt désabusé, blessé par toutes ces attentes, la rudesse de ma situation d’aujourd’hui, sa parcimonie à m’adresser des messages d’espoir quand il apparaissait dans les médias. Je retiens la dureté d’un champion-combattant qui se dit que le ballon sera toujours solide. Moi je me sens craqueler de toutes parts et décidément attristé d’osciller entre la schizophrénie et l’adhésion à un monde qui ne serait le fruit d’une trop grande imagination. Je ne comprends plus alors quand je regarde un match de football pourquoi mes yeux délimitent exactement la circonférence du ballon, pourquoi ces satanés services secrets m’ont cherché autant de noises.