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Dépits

22 mai 2010 à 17h44

De toute façon, ce Joueur c’est trop de beauté, de charme, d’ambivalence pour moi. J’ai passé l’âge et le physique pour séduire un athlète sensuel et désarmant. Ma disponibilité à son langage magnétique trouve ses limites dans le fait que notre rencontre est sans cesse repoussée. Mon allergie au nouvel ordre économique, politique et social qui se met en place fait que le Joueur me dégoûte profondément quand il en joue le représentant gâté même s’il m’assure dans mon petit appartement qu’il mène une stratégie d’agent double, propre à renverser les puissants. Je ne suis pas convaincu. Je ne veux pas être dans la croyance mais dans l’adhésion, dans l’observation des objets-mots, des lettres-symboles que la pression magnétique me soumet avec force.

Sauf que dans certains cas, certains signes peuvent exprimer une chose et son contraire : ce serait le Joueur qui aurait envie de jouer, ou de me soumettre davantage. Je n’ai jamais autant subi depuis que j’ai fait sa connaissance. Je ne sais plus si je l’aime encore, révolté que je suis par toute cette passivité imposée, voire même des humiliations quand il abuse de notre système de communication pour m’induire en erreur. C’est comme si je passais tout mon temps, mon énergie, mon imagination et sacrifiais mon intégrité physique pour me laisser lentement et sûrement me démantibuler de façon irréversible. Ce serait une manière de rendre le ballon plus électrique et plus imprévisible, me dit-il. Sauf que dans le registre de la réification, il n’y a pas mieux. Je proteste : ça ne sert à rien. Je suis pris dans l’engrenage de cette force qui m’enserre la tête, la fait déplacer sur du signifiant et c’est assez désespérant. Je suis découragé.

Je dois le reconnaître : mon amour s’est émoussé pour quelqu’un qui me donne l’impression qu’il ne fait pas évoluer la situation. Il apparaît dans des interviews insignifiantes sponsorisées, des pubs à gogo, un télé-réalité show. Il me dit qu’il cache son jeu, qu’il est un poisson-pilote dans ce monde merdique, utile pour le faire s’écrouler.

Il n’empêche : je suis devenu un être-machine à force d’offrir mon corps en permanence au magnétisme de la force de langage du Joueur, prolixe dès les premières minutes de la journée. J’ai perdu tout contrôle de moi-même : je suis dans le piège de cette tête qui tourne, s’arrête, reprend sa course pour tomber d’abord sur la lettre M de amour, le pollen blanc d’une fleur de la paix, la photo d’un footballeur catastrophé immédiatement suivie de celle d’un joueur franchement réjoui, deux statuettes d’hommes africains qui se font des câlins, pour terminer sur la brillance d’un objet de couleur noir. La brillance du noir est une couleur particulière que porte le Joueur : c’est celle où il déclare son amour, fait la cour, le galant, l’élégant, fait rutiler toute sa beauté, l’intensité, la sincérité des mouvements de son cœur.

J’ai perdu tout contrôle dans cette histoire-là. J’ai commencé à jouer avec les signes et les lettres en 2005 : avec la naissance et la croissance de la force magnétique, un langage s’est cristallisé. Il est incontournable. Même mon psychiatre m’a conseillé de ne pas essayer de l’ignorer. Quand le Joueur a décidé de me dire : je t’aime, ou ce sera la paix entre nous, un grand amour en paix, la complicité du libertinage, de grandes prédispositions à prendre notre pied. Depuis qu’il m’a adressé discrètement son V de la victoire à la télé, ma tête n’a jamais été autant guidée sur le pied d’un joueur à la télévision, d’un passant dans la rue, le pied des chaises : le pied ! Le pied à venir… Et si tout cela était un redoutable système pour me fourvoyer et vivre un amour virtuel à distance, à jamais séparés jusqu’à la mort ? Et si le Joueur n’avait pas prêté son concours au cosmos ou à de puissantes multinationales équipées de nouvelles technologies révolutionnaires pour me punir, me maintenir isolé du reste du monde, incapable de marcher, de travailler, de vivre une autre histoire d’amour ? Le cosmos voudrait me sacrifier, les multinationales me mater à jamais pour avoir trop ouvert ma gueule. Fallait-il croire ce langage magnétique ? Le Joueur me répond en fixant immédiatement les deux roses qui se font des câlins avec l’éloquence de la force de l’affection.

Je suis une tâche. Il me reste le regard, la grande tendresse, ses rires et ses sourires de bonheur qu’il m’a adressés, prenant le soin de me préciser que c’était bien à moi qu’il s’adressait un jour de mai lors d’une conférence de presse. Il reste un surnom que je m’étais donné et qu’il a réussi à glisser dans une interview, ces incroyables démangeaisons qu’on a au même endroit du corps quand il passe à la télévision, des démangeaisons que j’interprète comme un appel de son amour et qui me dévore toute la journée. A l’heure où j’écris, j’estime qu’il pourrait donner davantage de signes objectifs à travers les médias. J’en ai eu mais j’ai besoin d’une accumulation pour me rassurer. Il existera toujours le doute sur l’utilisation du Joueur qui singerait l’amour pour me préparer un avenir funeste. Je dois penser aux scènes d’amour que nous vivons à distance chaque jour. Les mouvements de mon corps ne sont absolument pas impulsés par moi mais par lui. Je laisse suffisamment mon corps relaxé, disponible, ouvert à des forces de l’extérieur pour que celles-ci s’emparent de ma chair pour lui faire vivre des vas et vients phaliques dans un coït qui n’a presque rien à envier au réel.

Mais ne cède-je à la facilité et me laisse tout simplement enfermer dans un piège ? Le Joueur me dit : la paix du soleil. Il lui arrive de me décevoir, de le désaimer à force de trop de colères et d’impatience. Mais je dois me l’avouer : je me sens irrémédiablement lié à lui. Je lui ai donné ma vie. Avec mon imagination mais aussi les mouvements-mots du Joueur, il s’offre à moi : c’est plus beau qu’un rêve. C’est que j’ai du mal à prendre totalement conscience qu’un jour, ça deviendra réalité. Je lui parle, je lui parle pour me rassurer, lui pose sans cesse des questions, on se charrie (les mouvements de tête sur les tâches de mon appartement servent à quelque chose). Il faut reconnaître une chose : cela fait tellement longtemps que je n’ai pas autant ri.

Urgence Ils ont gagné