Je voulais échapper au supplice des pensées parasites dans le restaurant. L’endroit était confiné, il n’y avait pas de mouvement de sympathie dans le groupe où je m’étais incrusté. Le soutien aux Bleus était affecté. Surtout j’avais souffert le martyre de mes pensées parasites pendant France-Brésil. Jamais l’horreur ne m’avait autant traversé l’esprit, la souffrance et la frayeur n’avaient été aussi paroxystiques. Le Joueur avait joué comme un Dieu.
Il avait ondulé, dribblé ses adversaires pendant tout le match, multiplier des figures comme des hallucinations, sachant garder le ballon dans les situations les plus impossibles. L’équipe, c’était lui tout seul aurait-on cru. Pourtant il avait su faire des passes avec une précision d’ordinateur, une imagination de sorcier-créateur. Il réussit à mystifier avec aisance et élégance les dieux métissés du football.
Et moi, je me rendis à peine compte, constatant seulement que la France gardait le ballon, puis menait, puis s’était qualifié. J’étais totalement anéanti. Jamais mes pensées parasites n’avait pris un tel dessus sur mon esprit et n’importe quoi pouvait les déclencher, enchaîner sur une autre encore plus terrible, m’entraînant dans une spirale qui descendait au centre des flammes de l’inique, de l’insupportable ignominie, de la haine, du rire de la haine, de la jouissance de la haine. Tout cela, je ne pouvais pas, je hurlai, protestai intérieurement, relâchait un peu l’attention, me ressaisit, criai à nouveau ma haine de la haine. Je regardai deux jeunes hommes danseurs, objets de mes pensées parasites : j’admirais à quel point ils étaient beaux, qu’ils pouvaient me séduire, que je les aimais ce soir-là, que je pouvais partir avec eux pour les embrasser, les caresser, admirer leurs yeux, le grain de leur peau, leur port de tête. J’étais à l’opposé de la haine, ils étaient la preuve que mes pensées parasites étaient quelque chose d’artificiel, de simples début de début de pensées qui n’étaient pas ma vérité ou plutôt de la peur de ces pensées que je transformais en réalité.
Ces deux hommes étaient comme mes deux amants de la soirée. Bien sûr, il y avait le Joueur mais lui, il était devenu intouchable pour tout le monde, embraqué sur ses propres sommets. J’avais beau me raisonner, je croyais qu’on allait m’arrêter à la sortie du restaurant. Après le match, des supporters m’entourèrent rue Oberkampf en chantant et en frappant des mains. Je me dis : ça y est, encore d’autres qui savent que je suis le ballon. Qu’est-ce qui va m’arriver. Je regrettais tellement d’être le ballon ! Je réalisai à quel point j’étais affaibli.
La nuit précédant la finale, je ne trouvai pas le sommeil. Je pensais sans cesse au Joueur. Je voulais tellement qu’il gagne. Je lui parlai, voulant lui dire à tel point il avait mon soutien, mon amour aussi. J’étais seul à tourner et à me retourner dans mon appartement. J’étais persuadé qu’en fonction du résultat de la finale, nous allions nous voir ou pas. J’avais un trac immense. En même temps, je ne pouvais reculer face à la victoire. Je redoutais la défaite comme une immense dépression. Je me mis à écrire au Joueur.