« Vous êtes déjà passé devant moi, n’est-ce pas ? », demande la Présidente au jeune prévenu. Mamadou, tout juste 20 ans, bafouille une réponse inaudible : « Parlez plus fort, jeune homme ! » Le frêle Mamadou colle ses lèvres au micro : « Oui, Madame. Mais je n’avais pas compris la mise à l’épreuve. Mon avocate m’a tout ré expliqué. J’ai bien compris, maintenant ».
Il est 21 heures ce 12 janvier quand des policiers de la BAC remarquent « un jeune homme de type africain, visiblement nerveux » attendre sous le pont, rue Vercingétorix, dans le 14e. Le « suspect regarde à droite à gauche » quand arrive un véhicule Fiat tous feux éteints. Le suspect remet un sachet en plastique au conducteur contre de l’argent, puis repart en courant. L’homme de la Fiat est arrêté, interrogé. Mamadou est retrouvé à son signalement. Il comparaît ce 14 janvier pour acquisition, détention et revente de cannabis : huit grammes échangés contre vingt euros.
Condamné deux fois pour les mêmes faits par le tribunal des enfants, une troisième fois en 2008 devant cette même chambre, Mamadou a toujours écopé de sursis – quatre mois la dernière fois. « J’ai dû vous expliquer à l’époque que c’était votre dernière chance et que si vous recommenciez, vous n’auriez plus le droit au sursis. Je vous avais parlé de la nouvelle loi sur la peine plancher ? – Non, répond timidement le prévenu. – Si pourtant, je vous l’ai forcément dit, je le fais à chaque fois », insiste la Présidente, l’air embarrassé.
Enfant unique, Mamadou habite chez sa mère, femme de ménage. Présenté par son entourage comme un « jeune homme gentil, mais naïf et clairement influençable », Mamadou est suivi par une association de quartier qui l’encourage actuellement à suivre une formation dans l’électricité. Dans son quartier, Mamadou véhicule l’image d’un gosse sympa et doux qui tente de s’en sortir malgré ses récentes difficultés : « Vous avez eu de nombreux décès dans votre famille, c’est bien cela ? », demande la Présidente. Mamadou acquiesce, mais ne tient pas à en parler.
Cette image du gosse sympa, malmené par la vie, la Procureure l’attaque d’emblée : « Monsieur X est calme, Monsieur X est gentil et Monsieur X connaît des malheurs dans sa vie, c’est vrai. Mais cela lui permet à chaque fois de se trouver des solutions allégées ». Droit dans les yeux, elle le toise : « Je connais bien les policiers du 14e arrondissement et je sais, pour en avoir discuté avec eux, que Monsieur X est un pro. C’est le genre de dealer à arriver dans la demi-heure avec la marchandise. Le genre à ne jamais avoir quoi que ce soit chez lui, aucune trace – tout est chez la “nourrice” (1). Voilà qui abîme la personnalité très clean de Monsieur X. La vérité est qu’il détruit des individus de notre société avec son petit commerce. Et puis, pauvre Monsieur X, il n’a vraiment pas de chance dans la vie ! À l’entendre, il avait un entretien pour un stage le jour même de sa garde-à-vue… quelle malchance. L’infraction qui lui est reprochée est grave : ça lui a été dit, redit. Je requiers la peine plancher : quatre ans de prison avec mandat de dépôt ».
« J’ai mal au ventre à chaque fois que je viens plaider devant vous, lance l’avocate de la défense pour commencer sa plaidoirie. Mal au ventre de vous entendre, Madame le Procureur. Ce jeune est un gamin, un gentil gamin, ici présent pour 8 grammes de cannabis ! Or qu’est-ce que j’entends de la bouche du ministère public ? Que ce garçon est “rodé au trafic” ? Que “ses malheurs lui servent” ? Ce jeune homme a subi trois décès dans sa famille en moins de six mois et on l’enfonce là-dessus ? La police a effectué une perquisition chez lui et n’a rien trouvé ! Madame le Procureur sous-entend de fait que cette drogue serait chez une nourrice… » Se tournant vers son client, elle demande : « Vous savez au moins ce que c’est qu’une nourrice ? »
Hébété, Mamadou ne répond pas. Son avocate reprend, sur les nerfs : « C’est une transaction de vingt euros… vingt euros ! Et mon client risque quatre ans de prison pour ça ? Mais si vous l’envoyez en prison, ça va le réduire à néant… Regardez-le ! Il va y avoir droit à la douche en arrivant, vous le savez ça ? C’est une catastrophe cette loi sur la peine plancher. J’ai déjà vu un gamin prendre deux années de prison pour un vol de téléphone portable. Alors effectivement, c’était une récidive. Et effectivement, ce gosse n’avait aucune garanti de représentation parce qu’il habitait sur une péniche… Mais, deux ans de prison ! Pour un portable ! Je demande au tribunal toute son indulgence. Vous pouvez, une dernière fois, essayer de lui faire confiance. Cela peut le faire, je vous le dis : ça peut vraiment le faire. Je vous remercie pour lui ».
Résultats des délibérés. Huit mois de prison dont 4 avec sursis et mandat de dépôt. Mamadou dormira le soir même en prison.
(1) La « nourrice » est un ami ou membre de la famille stockant chez lui de la drogue pour déjouer les surveillances policières.