Comparutions immédiates du 9 avril 2009, chambre 23-2 de Paris
« En découvrant le dossier ce matin, je me suis dis : “C’est drôle, ça fleurit les paysagistes”, commente la Présidente. En fait, c’est toujours le même ». En moins d’un mois, c’est effectivement la troisième fois que Serge, paysagiste petit et trapu de 33 ans, comparait devant cette chambre. « En fait, à chaque fois que vous buvez, vous revenez nous voir ici au tribunal ? » Grognements du prévenu en guise de réponse.
Serge, vingt condamnations déjà au casier, comparait une nouvelle fois pour violences en état d’ivresse manifeste. A ses côtés, Philippe, 33 ans, grande perche ravagée par l’alcool. Les deux hommes se seraient déchaînés sur un SDF à coups de pieds et de poings à la tête. « Vous reconnaissez les coups de poings, mais pas les coups de pieds, c’est bien cela ? », demande la Présidente. Nouveaux grognements du côté du box.
La Présidente continue : « Vos faits et gestes ont pourtant été enregistrés par la vidéo RATP installée sur le quai. On voit nettement un premier homme, le plus petit, envoyer deux coups de poing au SDF assis sur le banc et puis l’autre, le grand, finir le travail avec quatre coups de genoux à la tête. Vous le tapez, et puis vous vous donnez la peine de le rassoir sur le banc où il était assis quand vous l’avez trouvé. Tout ça parce qu’il aurait “traité votre mère alors qu’elle est morte”, c’est ce que vous avez dit à la police ? » Nouveaux grognements de Serge pour acquiescer. « Notre SDF est vraiment très amoché, termine la magistrate, quand on voit sa tête sur les photos du dossier, vous ne l’avez pas raté : il a pris cinq jours d’ITT ».
Appréhendés par une équipe de la RATP, les deux hommes sont remis à la police. « Ils découvrent alors dans l’une de vos poche un pistolet en plastique – une sorte de jouet pour enfant que vous veniez tout juste de gagner à la Foire du Trône. C’est de là que vous veniez ? » Silence dans le box. « C’est à la Foire du Trône que vous avez arrosé votre après-midi ? » Grognements.
En plus des violences sur le SDF, les deux hommes sont poursuivis pour « outrages et violences avec une arme de septième catégorie » sur une policière. Au dépôt, les deux hommes encore grisés se seraient amusés à lui lancer les petites billes provenant du jouet en plastique. « Vous les lui jetez à la figure comme on jetterait des cacahuètes à un singe et vous lui dites : “J’ai un vibromasseur dans la poche, je vais te l’enfoncer dans la chatte”, lit la Présidente. Vous lui dites aussi : “Suce la bite à Sarkozy” ». Moue des deux prévenus : ils ne se souviennent de rien.
L’avocat commis d’office se lève : « Madame la Présidente, il y a un problème dans la procédure. Je n’ai aucun élément concernant les outrages aux policiers. Je n’étais pas au courant de cet aspect-là du dossier ». La Présidente lui propose de suspendre l’audience, le temps de délibérer sur les affaires précédentes et de lui laisser une petite heure pour étudier les documents manquants. « Je vais manquer de temps », rétorque l’avocat visiblement embarrassé. « Une heure pour étudier une demi page sur des billes lancées et des “Suce la bite à Sarkozy” ? C’est largement suffisant ! » L’avocat fait la moue. « Maître ? Vous reprenez après la suspension ou bien on renvoie l’affaire ? »
La défense opte finalement pour le renvoi. « Ce n’est pas à l’avantage de vos clients, prévient la Présidente, ils ont des casiers longs comme le bras, pas de garantie de représentation suffisante : vous prenez le risque du mandat de dépôt ». L’avocat acquiesce, sa décision semble effectivement incompréhensible. « C’est certainement pour des raisons qui lui sont personnelles, souffle une avocate. Faut le comprendre, il est peut-être de permanence depuis 10 heures ce matin. Là, il est plus de 18h30. Passer après la suspension, c’est attendre au minimum deux heures de plus. Ce n’est pas à lui de pallier aux manquements du Parquet qui n’a pas complété le dossier ».
Le jugement. L’affaire est renvoyée au 20 mai. En attendant, le tribunal décide d’un mandat de dépôt : « Vous partez en détention jusqu’à cette date », conclue la Présidente.