Comparutions immédiates du 21 avril, 23e chambre de Paris
« Monsieur, vous devez nous écouter, c’est votre procès ! » La Présidente du tribunal tente désespérément d’attirer l’attention d’un prévenu complètement happé par son monde intérieur. Mohamed, 20 ans, accusé de violences en récidive sur sa mère et sa sœur, semble se raconter des monologues intérieurs, voire des histoires drôles. Il rie aux éclats, redevient grave, sourit de nouveau et se fait des commentaires à lui-même, toujours à voix basse. Le prévenu quitte parfois son regard vide pour fixer un inconnu du public et le « serre » d’un œil inquiétant, menaçant même. Mohamed souffre d’un problème « psy », c’est une évidence. Il y a un mois, le tribunal avait d’ailleurs décidé de renvoyer ce dossier pour demander une expertise psychologique. Le gringalet Mohamed est depuis resté enfermé à Fleury-Mérogis.
Le 16 mars à 10h30, la police est appelée pour un différend familial dans un appartement du 9e arrondissement de Paris. Ils découvrent un sol jonché de vaisselle et deux femmes, en pleurs. La sœur dit avoir reçu de son frère une « simple gifle ». La mère par contre, visiblement choquée, souffre d’un hématome sur l’arcade sourcilière, de marques de strangulation sur le cou, de griffures au visage et de morsures sur les avant-bras : cinq jours d’ITT pour cette dernière. Face aux policiers, cette mère dit d’abord ne pas vouloir porter plainte. Et puis elle se ravise : « Nous sommes complètement à bout, explique-t-elle au tribunal. Mon fils est de plus en plus violent et il nous mène une vie impossible. Jusque-là, il ne s’en prenait qu’à moi, mais il commence maintenant à s’attaquer à mes filles ».
Mohamed ne se sent pas concerné, il le fait sentir et il le dit : « J’en ai rien à faire ». Comment explique-t-il les coups répétés, la violence ? « C’est juste une dispute, dit-il, hilare et le regard dans le vide. C’est juste une dispute, répète-t-il, et moi je suis enfermé dans une prison ». Reconnaît-il avoir mordu, frappé, griffé et donné des coups de tête ? « C’est juste une dispute, explique-t-il à nouveau, je l’ai bousculé, c’est tout, elle joue avec mes nerfs ». La Présidente lui demande s’il a des « projets dans la vie ». Mohamed répond simplement : « Quand je sortirai, je ferai un truc ».
« Mon fils a toujours été très gentil, raconte sa mère. Mais depuis six mois, il est méconnaissable. Il ne sort plus de la maison, il ne voit plus ses amis, il est pire qu’un bébé. Il frappe et ne s’en souvient plus – il ne se souvient de rien d’ailleurs. Il a des absences, il invente des histoires, des personnages… Il dit à qui veut l’entendre que son père est mort, c’est complètement faux ! » Cette mère dit vouloir soigner son fils, être là pour lui, mais s’inquiète : « Il imite sans cesse l’aboiement du chien ou le moteur d’une moto, il tape sans arrêt dans les portes et fait peur à nos voisins… C’est pour cela que je voulais l’envoyer chez son père en Algérie, pour qu’il change un peu d’air ».
Malgré l’évidence de ces troubles, l’expertise demandée par le tribunal ne fait état « d’aucun trouble majeur ». Mohammed serait « totalement accessible à une sanction pénale » et ne présenterait « aucune tendance au délire » ni même « aucun trouble de la conscience ». Ces conclusions semblent perturber tout le monde, y compris le procureur : « Les experts disent que le prévenu n’est pas malade, mais on a du mal à croire qu’il puisse simuler… Est-ce un simple problème de mémoire ? Il y a de quoi douter ». Compte tenu de la récidive, le parquet requiert pourtant huit mois de prison ferme.
La défense semble tout aussi perdue. Elle dit d’abord ne pas se sentir « habilitée » à contredire l’expertise, mais poursuit : « Mon client est dans un état second, c’est clair. Il ne ressent aucune culpabilité, il ne parvient pas à se souvenir, il devient violent avec ses proches, il s’isole, il refuse de se laver, il aboie comme un chien… À Fleury-Mérogis, il a passé des nuits entières à taper dans les murs. Quelque chose ne va pas, c’est clair, et ce sont clairement les prémices d’une schizophrénie. Une contre-expertise aurait franchement été la bienvenue ». L’avocat demande la relaxe avec une obligation de soins : « Sachez que sa tante est prête à l’héberger au cas où vous décideriez d’une interdiction de paraître au domicile familial ». La Présidente interroge le prévenu : « Vous voulez habiter chez votre tante ? » Réponse de Mohamed : « Maman ».
Le jugement. Mohamed est déclaré coupable par le tribunal qui « écarte cependant la peine plancher en raison de ses problèmes psychologiques ». Mohamed est condamné à 8 mois de prison dont 7 mois avec sursis et mise à l’épreuve de deux ans. Obligation de soins et interdiction de paraître au domicile familial.