J’avais laissé délibérément traîner la une du Parisien où le Joueur était en photo après son moment d’explications sur son coup de boule. C’était le plus beau visage que je vis de lui. Il était sensuel et incroyablement solaire. De grands yeux verts, doux et déterminés, débordant d’expression, d’une limpidité de lac haut perché. Sa bouche était une bombe de sensualité. Ses pommettes et ses paupières ambrées, ses joues joliment creusées. Il me faisait l’effet d’un mirage de beauté jamais égalée, un rêve esthétique, érotique et chevaleresque de quelqu’un qui avait dû se défendre contre l’évidence des faits. Il dégageait une harmonie, une sérénité qui impressionnait. Lui dont on raillait si souvent ses difficultés à s’exprimer avait donné une leçon de langage où la conscience des mots, l’art de leur choix et le panache de toutes leurs subtilités, de certains silences, de leur charge d’humanité faisaient de lui un homme libéré qui tutoyait la grandeur, l’inflexible révolte, diffusait son insupportable sentiment d’injustice et savait parler aux enfants, à ceux qui les entouraient pour dissiper leur trouble, leur traumatisme ou leur envie de mimétisme. Je le voyais tellement solaire, tellement bien dans sa peau que je n’étais pas étonné de le voir réussir cet exercice de haute voltige. Comme sur le terrain, il répondait à un défi impossible. Et cette fois il démontrait que son intellect ressemblait à son génie de jeu de jambes et de tête, sachant révéler de sa plus belle manière la métaphore de l’essence de la vie et du destin : on ne marche vraiment que sur une ligne de crête. Et en l’espèce, il démontrait que son langage en comportait plusieurs. Le Joueur avait superposé une série de messages cryptés.
Sa photo, le journal et sa manchette gisaient donc sur le parquet quand la force magnétique voulait absolument déplacer et fixer mes yeux sur les O et les A figurant dans les titres. Je compris : le Joueur attendait que je pose des questions, formule des hypothèses, trouve les raisons et les explications cachées de ce coup de boule. Je me rappelai comment les services secrets m’avaient cherché et plus récemment ce drôle d’agent double Adel qui m’avait dépouillé de 30 000 euros et cherché de m’exfiltrer à l’étranger avec des combattants islamistes. Peut-être avait-on projeté une opération spéciale sur ma personne le soir de la finale ? A peine avais-je fait cette supposition que la force magnétique se déchaina sur mon crâne et me fit fixer le O d’un titre en faisant tourner la lettre sur elle-même devant mes yeux C’était impressionnant. C’était une confirmation franche et massive. Je pensai à un enlèvement. Le Joueur me répondit oui par la même lettre O. J’imaginai que le défenseur italien annonçait au Joueur que plusieurs gangs extrêmement bien organisés allaient m’enlever, qu’il était marron, qu’il pouvait bien faire le malin, que j’étais une pute et que j’allais en devenir une plus grande encore, que ces gangs allaient avoir tout pouvoir sur moi, qu’il ne jouirait de moi qu’occasionnellement, que le génie du Joueur ne vaudrait plus tripette, qu’il allait retomber dans l’oubli et que moi, j’allais subir ordres, soumission, viols successifs et collectifs. Face à cette série d’hypothèses, la force magnétique se déchaîna pour me dire oui en faisant tournoyer ma tête pour coller mes yeux sur la lettre O.
Pire, j’appris qu’après l’enlèvement, on projetait de m’endormir et de m’émasculer dans une clinique. Ces gangs étaient des ennemis acharnés de mon hermaphrodisme. Ils savaient que celui-ci au contact du Joueur et de quelques amis-amants suffisaient à faire venir la paix, surgir l’Eden. Ils représentaient les marchands d’armes, certaines multinationales, des pays, de nombreux hommes politiques et d’autres institutions qui voulaient garder pouvoir, argent et capacité de destruction. En donnant son coup de boule, le Joueur surprit et tétanisa les gangs. Il venait d’accomplir le plus spectaculaire et le plus mondialisé des scandales. Lui soi-disant docile allait devoir en répondre . Les gangs réalisèrent qu’il était capable de dire toute la vérité. Il avait commencé à la dire dans les couloirs, à mouiller, à accuser. Ils prirent conscience que le Joueur savait plus de choses qu’ils n’imaginaient et que rien ne l’arrêterait aujourd’hui pour accuser. Ce coup de boule nous a protégés lui et moi. Il a déclenché le timing d’une stratégie savamment mûrie qui avait consisté à pousser à la faute les ennemis de notre rapprochement et de mon hermaphrodisme, à me protéger durablement et à entraîner ces représentants du Mal dont certains occupent des fonctions très officielles à enchaîner erreur sur erreur jusqu’à sombrer dans leur propre perte. Nous, nous pouvions continuer à nous aimer et nous parler. Nous nous rappelions que nous étions des représentants du cosmos, de simples étincelles à l’irruption de l’Eden, rien de plus, et que nous retrouverions une vie modeste et normale même si nous resterions des personnages publics.
Ce coup de boule était le résultat de l’accumulation des menaces qui pesaient sur ma personne. L’insulte proférée à l’encontre de la mère du Joueur alors que celle-ci était à l’hôpital avait été proprement la goutte d’eau insupportable qui avait fait débordé le vase. Ce coup de boule les a bluffés, ces maffieux de tout poils. Ils ont eu peur de la colère du cosmos. Ils n’avaient pas tort. Celui-ci me dit qu’il ne peut contenir sa foudre quand il voit vers quel naufrage les responsables politiques et économiques veulent faire sombrer notre planète. Le Joueur m’explique qu’il n’hésitera pas tous types de dérèglements face auxquels les maffieux seront bien impuissants, obligés de jeter l’éponge, d’avouer les crimes commis et qu’ils voulaient encore perpétrer contre nous deux. Ce cosmos, m’assure le Joueur, veut définitivement les mettre à terre. L’humanité connaîtra enfin le plaisir, la liberté, la beauté et la création éternelle. Cela valait bien que ça commençât par un coup de boule dans un plexus solaire, mes douleurs à la tête, et les caprices d’un calendrier que ni le Joueur, ni moi-même ne maîtrisons : il faut que tous les coupables tombent un par un. Cela prendra le temps qu’il faudra en attendant que le temps soit un doux ami et que toutes nos meurtrissures tombent dans un grand oubli.