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Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit
Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit

Un lecteur qui fait sa loi

11 mars 2010 à 16h33
Rappel : simple outil du journalisme ou spécialité de quelques journalistes ? Le débat qui entoure la définition du journalisme d’investigation divise la profession. Important par son histoire, ses méthodes, et son impact sur la société, il reste peu pratiqué au sein des rédactions. Décryptage des aspects qui font de l’investigation un genre journalistique à part. Et une espèce en voie de disparition.

Et si les lecteurs de la presse étaient l’un des principaux moteurs du dénigrement de l’investigation qui s’est répandu au sein des rédactions ? Selon un sondage CSA réalisé les 18 et 19 septembre 1997, les français jugent sévèrement le journalisme d’investigation. 77 % d’entre eux jugent en effet « anormal » que la presse publie des informations malgré le secret de l’instruction [1]. Pour 79 % de public sondé, il est également « anormal » que soit divulgué dans la presse le nom des personnes mises en cause. Enfin, 78 % réprouvent que soient publiés des documents confidentiels.

Autre donnée intéressante : 72 % des personnes interrogées estiment que les journalistes qui traitent les affaires cherchent « avant tout à faire une bonne audience ou à augmenter les ventes » et 84 % déclarent que les journalistes « ne prennent pas toujours le temps de mener un véritable travail de vérification et d’enquête avant de livrer des informations sur les affaires ». « La course au scoop a eu un effet préjudiciable sur la profession », avoue Claude Angeli. «  On a parfois tellement envie de publier un scoop qu’on élude tout le recul nécessaire à l’enquête. La vie privée un domaine sensible. Il ne faut pas se mettre à faire de la presse de caniveau. Ce n’est pas notre rôle » [2]. Même son de cloche pour Jean-Marie Pontaut  : «  Tous  les jours, nous sommes obligés de concilier la rapidité et la vérification, ce qui conduit certains de nos confrères à des dérives. On est toujours dans le problème d’être les premiers et en même temps de vérifier. D’une certaine façon, même pour des gens très censés, ces affaires là font vraiment perdre la tête. On voit tout de suite des amalgames, des préjugés, des idées préconçues, et trop rapidement formulées sur les informations » [3]. Noyés sous les affaires pendant plus de vingt ans, les français ont donc banalisé l’investigation. Au point de réélire ceux que la presse avait montrés du doigt.

Quel avenir ?

Le journalisme d’investigation est-il en péril ? Ses particularités, devenues pour certaines des contraintes insurmontables, ont petit à petit scellé le sort de la pratique au sein des journaux. Cependant, il semblerait que l’enquête ait trouvé refuge à la télévision, devenue le nouvel eldorado d’un journalisme de combat. Bien que gêné par les contraintes matérielles liées aux spécificités du petit écran, les chaînes sont de plus en plus nombreuses à parier sur le genre pour attirer le téléspectateur. Plus riches que les quotidiens et les magazines, elles ont balayé la barrière économique qui paralyse l’enquête dans les journaux. Il suffit de constater le nombre croissant d’émissions décryptant l’actualité. «  La télévision possède un champ d’enquête fabuleux, mais elle ne le défriche que de manière très minime. De son côté, Internet est un moyen rapide de diffuser une information à très faible coût  », analyse Vincent Nouzille, journaliste indépendant et ex-collaborateur du site d’informations satiriques Bakchich [4].

La télévision a trouvé avec l’internet, un média en plein essor, un concurrent de marque. Profitant des faibles coûts de production qu’il engendre, le support tente également de réimplanter le genre dans la sphère journalistique. En France, les sites d’information tels Mediapart, Bakchich, ou Rue 89, attribuent une large place à l’enquête. Aux états-Unis, le genre fait également de nouveau l’objet de convoitises. C’est ainsi qu’a été créée une agence de presse indépendante du nom de Pro Publica [5]. Composée de vingt-quatre professionnels, son objectif est essentiellement de fournir aux journaux des enquêtes fouillées.

De son côté, il semblerait que les beaux jours de l’investigation soient déjà à considérer au passé. Les « affaires » ne font leur apparition que de manière éparse. Quand bien même elles secouent la République, les patrons de presse sont de moins en moins nombreux à se risquer au jeu du gratte-poil ou à compromettre la relation qui lie leurs publications aux annonceurs. Aujourd’hui, les journalistes se tournent donc vers l’édition pour trouver le temps et le financement nécessaire pour aller au bout d’enquêtes de longue haleine. « La télévision a appris à se servir de l’investigation en faisant de très bonnes choses. Internet a également beaucoup modifié le problème. L’évolution du journalisme d’investigation, c’est les livres », affirme Jean-Marie Pontaut. « Les journalistes font avec un livre ce qu’ils ne peuvent plus faire dans les journaux. Le livre est devenu une espèce d’aboutissement de l’enquête. C’est une vraie évolution de la presse et de l’investigation en général » [6]

Épisode 8/8

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Lire ou relire sur Bakchich.info l’épisode précédent du blog de Benoit Pavan :

Rappel : simple outil du journalisme ou spécialité de quelques journalistes ? Le débat qui entoure la définition du journalisme d’investigation divise la profession. Important par son histoire, ses méthodes, et son impact sur la société, il reste peu (…)

Voir aussi le blog professionnel de Benoit Pavan : http://benoitpavan.wordpress.com/

Investigation, enquête, contre-enquête : une querelle de mots « Spin doctors »

Notes

[1] Chemin, Anne, Les Français jugent sévèrement le journalisme d’investigation, Le Monde, 7 novembre 1997.

[2] Propos recueillis le 16 avril 2008 à Paris, dans les locaux du Canard Enchaîné.

[3] Propos recueillis le 29 avril 2008 à Paris, dans les locaux du L’Express.

[4] Propos recueillis le 21 avril 2008 à Paris.

[5] Nora, Dominique, Au secours de l’investigation, Le Nouvel Observateur, février 2008.

[6] Propos recueillis le 29 avril 2008 à Paris, dans les locaux du L’Express.